JAPON 2

Tokyo

Le pays calme du bonheur absorbant

 

J210 mardi 02 avril 2013 Tokyo pluie

IMG 7699 TOKYO DU BALCONAujourd’hui nous ne sortons pas de l’immeuble. Pluie. Fatigue. Besoin de décanter les innombrables images des derniers jours à Hobart, Hong-Kong, Shanghai, Nara, Miwa, Tokyo. Envie de retrouver un chez-soi. Recherche des clés d’entrée de la grande ville de Tokyo. Besoin des enfants de jouir d’un peu de liberté dans leur appartement. Lancement d’une nouvelle cession d’école. Contacts avec la famille. Révision des devis des travaux de la maison de Bruxelles. Les occasions de rester au sec ne manquent pas. Nous apprenons quand même à faire cuire du riz collant japonais et Garance la carnassière nous prépare d’excellentes boulettes de bœuf de Kobe.

En hausse : les pantoufles fournies par le propriétaire

En baisse : les cerisiers en fleurs

La phrase du jour : « Cet aprèm j’ai fait 40 pages de bio, demain matin je ferai une série d’algèbre et la rédaction de français » Julia

 

Complexité

Goût de l’optimisation poussé jusqu’à la lourdeur. Cohabitation de quatre écritures distinctes et complémentaires : kanji (caractères chinois), hiragana (syllabaire japonais), katakana (syllabaire pour sonorités étrangères), alphabet latin (langues étrangères). Nombreuses compagnies ferroviaires gérées par l’Etat, la région, le privé, toutes coordonnées mais gares différentes. Toilettes électroniques avec 4 programmes de lavage, puissance du jet réglable, ventilation séchage, lunette chauffante et poste de commande. Combien de religions vivant pacifiquement ? A 85% shintoïstes pour les choses de la vie en même temps que bouddhistes pour celles de la mort. Technologie de pointe et solutions subtilement miniaturisées. Trésors nationaux ancestraux accumulés sans fin pour mieux sentir l’éphémère des sakuras (cerisiers en fleurs).

Les Japonais cultivent la complexité, dont ils aiment la résistance et devant laquelle ils ne renonceront jamais.

J211 mercredi 03 avril 2013 Tokyo pluie

Pluie tokyoïte. Nous restons « chez nous ». Sortie détrempée à la cantine curry d’en face dans le grand gymnase qui abrite aussi courts de tennis, salle de danse, garderie pour enfants et practice de golf. Ces Japonais savent définitivement vivre. Félix tape des balles alourdies par son nouveau physique de jeune homme, son swing filmé de face et de dos. « C’est génial ». Demain grand beau. Tokyo, « maintenant, à nous six ».

En hausse : le shampoing anti-poux

En baisse : les provisions de séries de l’EAD (Ecole A Distance)

La phrase du jour : « Comment trouvez-vous la cuisson de la viande et des pâtes ? » Garance cuisinière

 

J212 jeudi 04 avril 2013 Tokyo-Ginza 23°C bleu

IMG 7737 TOKYO GINZAGinza. Tokyo immense, nous choisissons de visiter par quartier. Après un menu unique de sashimi à la sortie du métro où trône une locomotive (poisson cru, riz à volonté, bouillon de poisson, eau, pour 500Y = 4€ et le Japon est réputé cher), Ginza. Les Champs Elysées d’ici. Calme et silence frappants. Pratiquement pas de voitures, pas de bruit, les gens dans la rue souriants, prêts à aider le passant étranger. Le paradis des achats. Uniqlo, 11 étages de vêtements et belle vue sur l’avenue. Dalloyau, la french touch macarons. Sony building, dont les télévisons superHD de théâtre No arrivent presque à challenger Apple dans l’imaginaire des enfants. « Ho, c’est beau leurs tenues, mais le théâtre, c’est bizarre » Garance. Leica-store mieux pourvu en stocks que Paris-Bruxelles-Toulouse, concurrence japonaise et prestige allemand obligent. Une architecture moderne vivante, vivable, vécue bien gaiement, à l’opposé de la recherche du spectaculaire shanghaiens et des blocs morts français. Le luxe d’ici c’est le passé. L’avenir est en Chine et les boutiques de Ginza ressemblent à une petite avenue Montaigne qui a déjà son passé pour elle et sa culture pour résister aux marques. Cultivés, les japonais écoutent volontiers du bon jazz. En y regardant de plus près, comme le commerce se fait verticalement sur 7 à 8 niveaux, le trafic dans la rue est moins dense que chez nous où tout repose sur le pied d’immeuble. Quand on prend le temps d’analyser en détail l’architecture japonaise, elle révèle beaucoup de savoir-faire, de rigueur, de diversité. Et Tokyo possède sa lumière propre, intéressante, d’un gris-blanc un peu médical.

En hausse : la culture

En baisse : le bronzage

La phrase du jour : « De toutes façons, si tu me demandes, j’ai tout le temps faim et je suis tout le temps crevé » Félix (qui a pris 10 cm, 15 kilos et 3 pointures depuis le début du tour du monde)

 

J213 vendredi 05 avril 2013 Tokyo-Asakusa 25°C bleu-gris

Matinée pêche à l’information. Tokyo et le Japon sont tellement prolixes en possibilités, centres d’intérêts, lieux déclinés par les guides, sites web… que nous sommes débordés. Une seule chose est certaine : nous ne pourrons pas tout voir en un ou deux mois, il faudra revenir, avec plaisir.

IMG 7809 TOKYO ASAKUSAA Tokyo, on bosse. Julia et Félix restent aux appartements pour travailler, avec un tennis réservé en face à 17H. Tous les hommes dans le métro ou la rue sont en costume noir. Journée plaisir de la flânerie par grand ciel bleu dans Asakusa. Tokyo, largement détruite pendant la deuxième guerre mondiale, est organisée autour de grands carrés à voiture avec leurs bâtiments de moins de 7 ou 8 étages, dans lesquels s’empilent les restaurants les uns sur les autres, définissant des quartiers tranquilles où règne une atmosphère paisible de province éternelle. Pas de gigantisme. Peu de pédantisme. Le soleil entre partout comme chez lui dans des maisons basses et des petits jardins encerclés en carré. Il n’y a pas un Japonais qui ne se pose la question de l’architecture avant de construire. Cela donne un résultat équilibré et humain, en totale opposition avec l’idée de mégapole que nous nous faisions de Tokyo. Encore une représentation à changer dans notre boite à idées toutes faites. Nous croisons par hasard Kappabashi, la rue des 170 magasins d’ustensiles de cuisine. Une heure pour choisir un couteau à sushi et des couteaux à viande, faits à la main. Avec l’aide d’un vendeur qui parle bien anglais, sait compter jusqu’à cinq en français, nous fait des cadeaux au moment de partir et nous a écrit « faites un bon voyage » sur notre paquet. Au déjeuner Garance découvre les sushis, les aime, ce qui la ravit car c’est un dîner habituel à la maison dont elle pourra désormais profiter au retour. Partis pour Asakusa, nous étions sortis à Ueno (autre quartier). Les inter-quartiers sont intéressants car déserts, sans aucuns signes autres que ceux que la vie quotidienne. En nous rapprochant du temple, la concentration augmente, les magasins changent de destination. Des professionnels de la cuisine, on passe aux professionnels de la soupe à touristes. Garance et sa maman y dégottent cependant un petit kimono traditionnel d’occasion, ayant appartenu à une dame à peine plus grande que Garance à 10 ans. La taille des Japonais de la privation. La vendeuse, quelques vieilles dames bien dignes, Garance, Choupie, tout le monde a le sourire. « Kawaii » (mignon). Les rues sont couvertes en prévision des grosses chaleurs et des pluies de Déluge. Certains passages sont des souks, d’autres de petits passages Choiseul. Au milieu du bric à braque à 1000 yens, il reste quelques boutiques qui n’ont pas bougé depuis les années 50’ faisant le bonheur des photographes à pellicule et la fierté de leur dignes propriétaires. Dans la lumière qui s’améliore en fin de journée en jaunissant, nous traversons des flots de gens se dirigeant vers le temple, centre excentré du quartier. Les jeunes Japonaises adorent se faire prendre en photo. Pâtisseries cuites au feu de bois entourées d’algue, boutiques ancestrales présentant des tissus remarquables, armurier spécialisé dans les sabres, minuscule boutique d’appareils photo de collection connue dans tout le Japon (Chris est muni de son Leica comme laissez-passer), épicerie fine inconnue… on peut vivre ici des années heureuses à découvrir en épicurien rigoureux. Pas le temps aujourd’hui d’aller faire une petite croisière dans la baie de Tokyo.

Le métro et le train font partie de l’expérience japonaise. Ces gens-là savent aussi faire des brioches en sous-sol. Les ados ont bien joué au tennis. Avec les connexions wifi et les débits à la hausse, l’illusion rêvée de la Belgique s’évanouit devant la réalité de l’hiver qui ne finit pas en Europe. Encore une bonne journée. On se sent bien partout, au Japon.

En hausse : la marche à pied

En baisse : le cholestérol

La phrase du jour : « C’est quand même super-raffiné » Choupie dans une épicerie-traiteur, « Oui, mais il vaut mieux ne pas trop regarder en l’air… Ha, c’est un poulpe séché, je croyais que c’était une chauve-souris » Garance

 

Sumo

Le Sumo s’apparente à la tauromachie ou à l’opéra. Très lié à un pays fortement contrasté qui ignore volontiers le reste du monde pour ce qu’il considère comme sa culture profonde. Univers fait de rites, traditions, vedettes, légendes, spécialistes, discussions et commentaires. Plus qu’un sport, c’est le support de commentaires infinis à propos de combats qui durent à peine que quelques secondes. Pas de tournoi en avril au japon, mais des beyas (centres d’entrainements) dont on ne peut plus pousser la porte.

J214 samedi 06 avril 2013 Tokyo-marché au poisson 23°C gris-pluie

La vie en ville déteint sur le voyage en grand. De sternes en migration, nous nous transformons en fourmis s’agitant dans une boite d’allumettes. Les romantiques ont raison, les lieux pèsent sur l’âme. Les parents et Julia partent tard, en reconnaissance au marché au poisson. Tôt, ce serait avant 05H00 à la grille, pour faire partie d’un des deux groupes de 60 qui ont le droit d’assister à la criée, aux thons en particulier. Chemin faisant en taxi, l’architecture est en fête dans la lumière grise tokyoïte : petits immeubles tout en colonne de soldats bien ordonnée, construits sans se toucher (à cause des tremblements de terre ?) sur les parcelles d’anciennes modestes maisons ; avenues à automobiles qui évitent la tristesse grâce aux variations de façades, matériaux, couleurs, dégagements oxygénant ; tours géantes élégantes prêtes à manger le marché aux poissons destiné à s’exiler dans deux ans. On pourrait se promener ainsi dans Tokyo des années, au hasard du vélo, comme le font quelques passionnés qui l’imposent à leur famille pour pouvoir le partager avec des inconnus sur leur blog. A chacun sa folie, donc ses rêves.

IMG 7829 TOKYO MARCHE AUX POISSONS OURSINSLa première attraction, exigeante, du marché aux poissons, c’est la criée du matin blême. Pas aujourd’hui. La deuxième, c’est la zone du demi-gros, ouverte au public à partir de 09H00, début de décrue de l’activité des professionnels frénétiques. En occident, c’est l’odeur de la viande fraiche qui excite, ici, celle du poisson. Le demi-gros nettoie à partir de 11H00. Nous arrivons vers 10H00 au marché. Le temps de musarder parmi découvertes, interrogations, révélations rétrospectives inquiétantes, le petit déjeuner s’impose : énorme bigorneau cuit au feu de bois dans son jus en coquille (découpé en morceau au ciseau pour bien cuire), coquille saint Jacques à la même, sushis de maquereau, tempura de fruits de mer, le tout arrosé de thé noir. Un départ sérieux. Nous arrivons dans la zone de demi-gros vers 11H00. Il est vrai qu’aujourd’hui, ce n’est qu’une reconnaissance, pour débrouiller la complexité japonaise et préparer la « vraie » visite à la criée, un bon matin. Des reliefs, certes, mais des reliefs d’ortolans. Ambiance d’allées étroites éclairées au néon, sol détrempé, poutres rouillées, stands antiques en planches usagées surmontés par des greniers en contreplaqué. Et, à part les gros thons supercongelés tronçonnés à la scie sauteuse, tout est vivant : crevettes, turbots, platax, palourdes, oursins, dorades, sérioles, anguilles, moules géantes, ormeaux, crabes, poutine, langoustes… tous vivants. Pour préparer les commandes, le gars attrape des sérioles vivantes de 4 ou 5 kilos et leur donne un gros coup de machette derrière la tête et à la base de la queue. Et ces morceaux inconnus mis sous vide, qui ressemblent à un bout de porc, avec une partie rouge sombre marbrée et une épaisse couche de gras, c’est quoi ? « Il me semble que c’est de la baleine… on ne goûtera pas aujourd’hui » Chris. Il nous reste des traces de présupposés occidentaux indélébiles. On peut aussi acheter du prêt à sushis. Nous repartons avec des provisions crues : coquilles saint Jacques, crevettes vivantes, gros sushi au maquereau fumé, blanc de thon gras, agrémentés d’une entrecôte de Kobe et d’un faux-filet blanc persillé. Le plus grand marché au poisson du monde, qui alimente une ville de 18 millions de gourmets en frais, conserve une organisation organique. Les Japonais maîtrisent les extrêmes nécessaires : process plus que parfait, conscience que rien ne peut remplacer le savoir malléable humain.

Rentrés tôt à la maison, l’après-midi pluvieux ressemble à un long samedi d’automne à Paris. Repoussés à l’intérieur par la fatigue de la ville, l’agitation commerciale et le mauvais temps, avec du sport à la télé et des appels à la famille. Ailleurs qu’à Tokyo, une petite angoisse de fin de semaine pour col blanc. Pas ici. Energie de Tokyo. Repos de l’esprit dans un pays où l’authentique règne en maître. Nous sommes à l’abri du matraquage marketing anglo-saxon.

En hausse : les pin’s sur les revers des vestons des salarymen (surnom des hommes en noir du métro)

En baisse : les panneaux publicitaires 4X3 (aucun à Kyoto ou Tokyo)

La phrase du jour : « Cette ville m’étonne. On sent qu’ici les gens ont une vie paisible » Julia à Tokyo 18M d’habitants

 

Même pas peur

Au distributeur automatique de billets. Dans une ruelle écartée. Quand on est une femme seule qui marche. Dans le métro, le train de banlieue, quelle que soit l’heure. Avec un peu d’agent de poche dans la rue. A la gare. Avec un sac sur le dos dont on pourrait ouvrir les poches. Un appareil photo ou un téléphone mobile en main. Sac sous le bras ou en bandoulière sur le trottoir le long de la chaussée. Enfant quand on se promène ou qu’on traverse la rue. Des grèves de trains ou des transports en commun. De se faire arnaquer sur l’addition dans un restaurant. Des pickpockets. Le soir dans la rue. Dans le métro. Dans un parking. Dans l’ascenseur. Dans l’escalier.

Où à-t-on oublié ce que liberté veut dire ?

 

J215 dimanche 07 avril 2013 Tokyo-Arajukhu 25°C grand bleu

IMG 7833 TOKYO ARAJUKHUArajukhu. Journée de printemps vers le marché aux Puces, pour les parents accompagnés de Garance uniquement. A la recherche des Puces, la boutique Birkenstok nous indique, après recherche googleisée, que le marché n’existe plus, depuis un an. Il y largement de quoi s’amuser quand même à Arajukhu. De nombreuses petites rues piétonnes pour boutiques super-branchées proposant des styles très éclectiques. Quand on est au top du pointu, comme ailleurs dans le monde, il est bon d’afficher son dédain. Mais c’est très rare ici. Parfois, souvent, du talent vrai, comme chez Hare ou Saturday. Encore un thème à développer quand on reste au Japon : la mode. Temps de printemps, flânerie matinale agréable qui nous mène vers une rue bondée pour touristes, parallèle à la grande, belle et stylée Omotesando et ses enseignes internationales rivalisant dès l’architecture de leurs immeubles créatifs. Le building Tod’s est un des plus réussis. Dior propose de beaux costumes pour homme dans son triangle de verre opalescent. Garance est déçue par Chanel qu’elle aime pourtant beaucoup. Comme toutes les sociétés civilisées riches depuis les Egyptiens, et même avant, richesse, culture et raffinement entraînent leur lot de décadence douce. Les Japonais sont forts pour les fringues déstructurées, les androgynes décolorés antiatomiques, les Lolitas à frou-frou et cuisses apparentes rose bonbon. Le paseo sur Omotesando nous apprend que dandy citadin porte aujourd’hui bermuda class. Une concession à anticiper cependant, se faire épiler les jambes pour sacrifier aux règles éditées par les trend setters internationaux. Ce service est certainement disponible dans les innombrables salons de beauté pour homme du quartier.

Au grand Yoyogi Parc, manquent les Lolitas promises. Garance et Chris sont déçus. Les cerisiers ne sont plus en fleur. On s’y promène cependant agréablement un dimanche en famille réduite. Arajukhu. Un quartier branché d’une capitale du monde au début du XXIème siècle. Avec ses bons et ses moins bons côtés. Mais ici, un peu mieux qu’ailleurs. Ce sont les Japonais, qui ont construit l’ordonnancement rêvé par Le Corbusier et les européens de L’Union des Artistes Modernes.

En hausse : le japonais et le latin de Choupie

En baisse : Paris et Bruxelles

La phrase du jour : « Je crois que c’est une boutique gothique… » Garance

 

J216 lundi 08 avril 2013 Tokyo-Roppongi 25°C grand bleu encore

IMG 7893 TOKYO 5 HEURES DU MATINDépart à 04H30 du matin vers le marché aux poissons pour les garçons. Les portes ouvrent à 05H00, ils veulent assurer le coup et faire partie des 120 élus quotidiens qui entrent dans le sein des seins de la criée mondiale. Pas de queue, un couple de touristes qui n’a que ça à faire devant la grille et qui marche sur le trottoir dos à l’entrée : mauvais présages vite confirmés par un gardien parlant parfaitement l’anglais des 5 phrases écrites sur sa feuille de refus. « Sorry sorry finish today. Closed. Maybe tomorrow. Today finished at 03H15 closed. Other day. Every day. Sunday ? Ho, no, no ! ». On a beau apprécier les Japonais, à froid dans le petit matin noir, le coup est rude. Comme le marché longe les quais, Félix et Chris, abasourdis par le lever matinal suivi de la déception entretenue par un vent fripon, jettent, depuis le pont, un coup d’œil refroidi sur les quelques camions du marché. Même le minuscule croissant de lune ou la lumière du petit matin n’arrivent pas à les réveiller totalement. Même avec l’aide d’un Japonais parlant anglais et lui aussi refoulé, impossible de comprendre si une fois enregistré à 03H00 du matin, on peut repartir se coucher en attendant l’ouverture des grilles. La zone de gros-semi-gros ouvre à 09H00, dans 4 heures. Les garçons traversent la zone des restaurants et retournent lourdement se coucher.

IMG 7905 TOKYO DE ROPPONGIRoppongi. Nous étions partis vers Ueno, le quartier des musées, mais tous les musées du monde étant fermés le lundi, même au Japon, Roppongi se propose. Quartier rêvé par un urbaniste visionnaire financier, ou dans l’ordre inverse peut-être, le pâté de tours de Roppongi regroupe tout ce qu’il faut pour vivre dans une mégapole : bureaux, appartements, divertissements, courants d’air, restaurants, musées ouverts le lundi, ascenseurs, pâtisseries françaises, club de sport en boite, magasins « la totale pour mon chien-chat que j’aime », vues spectaculaires et synthétiques sur Tokyo, même un jardin. Une sorte de ville rêvée dans la ville vraie. Ces tours énormes exhalent des odeurs aseptisées étranges, produisent des bruits qui n’existent que dans leurs antres. Le Musée Suntory de notre journée culturelle est fermé, exceptionnellement ce lundi, pour cause d’accrochage de nouvelle exposition. Ils n’y a que des Français ringards pour faire confiance au livre au lieu de poucer sur leur Iphone 5S-4G ! Depuis la galerie circulaire du 60ème étage ou de l’indispensable héliport, on comprend l’immensité de Tokyo et le savoir-faire urbanistique japonais. « Moi, je suis bien ici » Garance. « Moi aussi » Julia. Même depuis le ciel, la ville reste accueillante, avec ses voies rapides, jardins, tours délimitant des quartiers tranquilles, temples, baie bleue sur la mer, sa lumière qui la traverse. Il y a tout pour vivre bien à Tokyo.

Et il y a deux musées, l’autre dispose une exposition Mucha. Un peu de Paris 1900 Art Nouveau à Tokyo qui adore. Une époque lointaine où la France avait le pouvoir d’attirer les talents du monde entier au point de finir par les considérer comme français, et non celui de refouler ses talents dans le monde entier en les stigmatisant pour finir par les considérer comme étrangers… Mucha, du temps des femmes belles, désœuvrées, mystérieuses, féminines, exerçant, depuis toujours, en conscience leur pouvoir de séduction sur les hommes, prêtes encore à s’abandonner. Sarah Bernhardt, La Dame aux Camélias, Lorenzaccio… une bonne partie du programme d’histoire et de français de Julia. « Musset, c’est mon auteur préféré ». Le Japon, avec sa culture graphique, ses femmes féminines, son goût pour les tissus précieux, révèle une partie intime de Mucha. Mucha révèle les Japonaises, leur mari au bureau, en sages files coordonnées élégantes et discrètes.

IMG 7994 TOKYO ROPPONGI 21 21Une autre exposition, dans le même goût citadin, mais cent ans plus tard, propose expériences graphiques, émotions et design au 21_21. Son emblème : un kanji amical. Allons-y, nous verrons bien. Le bâtiment anonyme ultramoderne est composé de deux feuilles d’origami triangulaires en béton, pliées en deux, un côté et son sommet opposé comme fichés dans le sol. Il règne à l’intérieur une atmosphère entre maison, piscine privée et caveau de rois, plongée dans une faible lumière, accentuée par la descente vers un jardin central sous le niveau extérieur. L’escalier de béton précieux tourne en promontoire panoramique. Le bâtiment est un spectacle, démonstration de maîtrise à l’extrême limite du désespoir urbain et pourtant joyeux, animé. Le bâtiment vit. Il est signé. Tadao Ando, est un très grand architecte. Alors les parfaits petits bâtiments parfaitement simples à force de travail et de pureté, le long du parc menant au musée, sont peut-être aussi de lui ? L’exposition est géniale début XXIème siècle. La fin de journée et le temps sont oubliés dans la boite de béton pur ajouré. Le kanji espiègle, emblème de l’exposition, reproduit sur le mur les mouvements des participants-créateurs. Des écrans muets invitent à l’origami, nous réalisons quelques figures. La vaste salle est pleine d’idées et de décalages humoristiques japonais. Une grosse théière est à dessiner « au doigt », d’après nature, sur des écrans tactiles pour aller se projeter au côté des autres déjà enregistrées. Regarder dessiner les Japonais et Japonaises experts fait partie du grand plaisir d’être là, aussi dans l’atelier d’interprétation du fameux kanji star de l’expo. Une grande salle est dédiée à une expérience d’apprentissage nombres-couleurs très créative. Apprendre peut apporter de l’énergie au lieu d’en pomper un maximum alors ? Les Japonais sont cultivés, modernes, créatifs, accueillants. L’exposition, destinée aux enfants, au rôle du design et à l’apprentissage, est une vaste promotion de Babaoo, le projet de site internet de Chris.

Les journées exceptionnelles se succèdent au Japon, sans effort et sans stress. Nous avons prolongé la location des appartements de 5 jours. Nous allons donc être habités par Tokyo pendant presque 3 semaines.

En hausse : les poubelles de l’appartement remplies de packaging superfétatoires

En baisse : le cours du Yen (ça tombe bien nous sommes à Tokyo)

La phrase du jour : dans le taxi en rentrant, Garance « J’aimerais bien être de culture Japonaise », Julia « Moi, je suis fière d’être française », Garance « Moi aussi, mais c’est quand même vraiment bien le Japon »

Métro

C’est fou. Le nombre et la densité du flux impressionnent à toute heure du jour. La discipline c’est leur truc. Avec le nombre et la concentration qui règnent ici, elle n’est pas vécue comme une frustration, mais plutôt comme une condition de la liberté. Par rapport à eux, nous produisons toujours beaucoup plus de gestes inutiles, de bruits inopportuns, d’odeurs impropres. Les rames font deux fois la longueur de celles de NYC, Londres ou Paris. Une vingtaine de wagons environ. Elles arrivent à toute vitesse. Le gingle de jeu vidéo à chaque station est entêtant, mais je suis le seul à l’entendre. Grâce à lui, les petits hommes en noir ressemblent encore plus à des robots mécaniques. C’est amusant. Il y a un côté joyeux, à les regarder, sans les gêner, avec son œil d’occidental relativiste. Tellement différents et étonnants. Et pourtant, on n’a absolument pas envie de se moquer d’eux. Aucun touriste ici. Tout le monde connaît son trajet quotidien par cœur. On peut lire, jouer sur son téléphone ou dormir tranquille jusqu’au prochain changement. A Tokyo, il y a un arrêt Tokyo, sur la Yamanote line, mais aussi sur la JR et le Shinkansen… Un gros nœud de communication. J’aime les anciennes dames en chapeau qui rient entre elles. Celles en kimono aussi, dans le métro... Il faudra suivre la circulaire Yamanote line pour faire le tour du centre ville vu de métro. Et une ligne au hasard, jusqu’au bout, pour voir jusqu’où ça va, jusqu’où ils vont. Et prendre une série de photos bien neutres des passagers, une pour chaque arrêt, dans le goût des photographes allemands de l’école Düsseldorf, pour suivre l’évolution. J’aime le monsieur en chapeau de paille qui s’arrête pour me laisser prendre la photo d’une publicité en couloir de métro pour un golf tout vert dans la lumière au néon. Il jette un rapide coup d’œil dans la direction de la photo, s’incline lestement en partant, un infime sourire aux lèvres. Les Japonais ne sont pas inexpressifs. Leurs signes, comme leurs écrits, sont plus subtils que les nôtres. Habitués à nos traits épais, leurs variations fines nous restent le plus souvent invisibles. Incroyable, en voilà un avec un costume à carreaux. Un original. Tous en costume noir collectif. Un groupe de bureau, chacun tire sa valise noire à roulettes. Une valise est jaune fluo, une autre rose fuchsia. Les femmes se dévergondent plus vite que les hommes. « Ouein ! Ouein ! » C’est le cri étrange poussé par les vendeurs des magasins, même les plus branchés d’Asakusa. Dans les bars à sushis, c’est « Huss » que les cuisiniers crient. Un couple en masque de tissu blanc passe. Il a fort à parier qu’un seul des deux est microbeux. Mais tous deux protègent le collectif. Chacun ici fait absolument de son mieux. C’est la norme. Elle a du bon. Quand la température souterraine monte, les hommes peuvent porter leur veston replié sur l’avant-bras pendant les transferts. Ils passent tous bien mis et ordonnés. Comment ont-ils fait pour être tous premier de leur classe ? Cinq femmes passent. Chacune avec son sac de papier jaune Festivalo. Drôle de marque. Certainement un nom occidental de marque locale ? Quelques mots notés sur le carnet dans un coin de gare et la foule s’est renouvelée à 100%. Ce n’est plus le même lieu. La cravate est rayée grise. Le bleu et le jaune paille sont les deux options pour changer un peu. Les jeunes ont les mêmes costumes noirs que les pères de famille. La coupe plus près du corps. Variation invisible à Sydney, qui fait toute la différence à Tokyo. On ne parle pas, ou avec entrain et joie. Le contraire de lieux malheureusement bien connus ailleurs. Les filles cachent leur sourire avec la main, mais montrent volontiers leurs cuisses. Avec ou sans longs bas qui s’arrêtent bien avant l’ourlet de la jupe courte. Ils sont rapides et précis. Le temps compte ici. D’où viennent ces jambes arquées disgracieuses héritées du passé ?

J216 mardi 09 avril 2013 Tokyo-Ginza et Tokyo-Tokyo 25°C grand bleu encore

IMG 8091 TOKYO GINZAFélix garde ses appartements, bien décidé à tuer la géographie avant de repartir de Tokyo. Son programme parle des Indiens des Andes, il a un Tour du Monde de retard. Chris fait une petite sieste avant de partir en solo dans Tokyo, le quartier de Tokyo qui a donné son nom à la ville. À Tokyo, les grands immeubles font de l’ombre aux rues larges. C’est le centre ville, la vraie capitale, les pas des passants sont plus pressés. Le quartier en beau majeur.

Les filles vivent l’aventure féminine dans Ginza : fringues et poils. Pour ce qui est des fringues et des chaussures, aucun problème, on entre dans les magasins, pas besoin de comprendre les étiquettes, à part les prix, on montre avec le doigt. Pour l’épilation c’est un autre problème. Il faut identifier des instituts. Grimper dans les étages élevés. Entrer puis expliquer à des jeunes filles qui ne parlent que le japonais. Sans rendez-vous, alors que les Japonais détestent être pris au dépourvu. Mais les filles sont toutes sympathiques. Bavardes dans le premier institut, à force de mots inconnus, elles finissent par faire comprendre qu’il faut d’abord appeler le call center et par envoyer les Françaises ailleurs. Dans le second institut, il faut comprendre que quatre séances, c’est le minimum pour une épilation laser. De quoi occuper une bonne partie de l’après-midi entre femmes et rires dans plusieurs langues. La vie de grande ville. Tokyo plus exotique qu’Hobart Tasmanie ou Thimphu Bhoutan.

En hausse : les graines sur le balcon pour les oiseaux des villes

En baisse : le look baroudeur

La phrase du jour : « On a réussi à faire acheter des chaussures à maman » Julia et Garance

 

Daimaru Tokyo station

Etage pâtisserie. Elles adorent acheter. Ici, le mythe du parfait, cultivé par les sociétés riches, a pris racine définitive. Il y a longtemps. Il existe une infinité de mots pour accueillir le chaland avec respect. Il est bon de les utiliser tous. Leurs petits paquets sont des bijoux d’origami. Et le rose est encore bien vu. Les vendeuses montrent des panneaux incompréhensibles. Beaucoup de mots et de sourires qui font rire les copines qu’une telle audace ravit. Tout ce qu’ils font : produits, présentations, logos, formes, couleurs est esthétique. Ils ont un art pour ça. Ils ne sauraient pas comment faire autrement que beau. Laid, ça les gênerait. Alors, ils font beau. Naturellement. Beaucoup de produits incompréhensibles. Surtout en pâtisserie, farcie de pâte de haricots rouges sucrée. Chez les plus réputés, on fait facilement la queue. Parfois des heures. C’est normal. On a l’habitude. C’est comme ça. Tous les peuples ont développé leur fatalisme propre. Ici, celui de la densité. Loin de celui du chaos indien, ou du froid sibérien. Dans les présentoirs, les reproductions en plastic sont parfois étonnamment ressemblantes, parfois ridicules. Il y a une énergie supérieure à Tokyo. On dirait Noël tous les jours d l’année. Elles adorent le sucre, qui se prête volontiers aux expériences graphiques.

Etage beauté. La perfection impose son règne absolu à l’étage beauté. Chez Estée Lauder, toutes les photos montrent des femmes blondes aux yeux bleu retouché. Inatteignable illusion. Depuis longtemps ce sont des femmes qui font le meilleur marketing des produits de beauté. Elles s’y connaissent. Avec ma barbe d’occidental décontracté et mon petit carnet de notes en main, les filles me prennent pour un patron de quelque chose. L’exécution est absolument parfaite, c’est le professionnel qui vous parle. Pour faire mieux, il faudrait des idées nouvelles. Il faut voir la chef énoncer les règles de la marque le regard cloué au sol et l’apprentie hocher de la tête à la fin de chaque phrase recopiée sur son cahier. Regard aux aguets, deux tours lents, j’ai bien fait de ne pas me raser. A ce jeu du plus que parfait mondial, trois élus. Seuls Français, Italiens et Japonais sont grands, tout le reste est faiblesse. Intraitables, elles l’ont bien compris. Les autres étages sont normaux.

Tokyo-Tokyo seul

Ici, comme à Paris, il faut aller faire les grands magasins. Pour acheter ou regarder. Seul dans Tokyo (le quartier), je tombe sur Takashimaya. Nom inconnu pour moi mais les vitrines parlent d’elles-mêmes. Surtout si on aime le luxe traditionnel, les façades mi Art Déco mi-américaines, les escaliers dérobés en marbre. On retrouve ici les produits et les gens qui ont disparu avec la Samaritaine de Paris. Au rez-de-chaussée, pas loin de Berluti, trône une belle maquette de l’immeuble, lors de son ouverture, les modèles réduits de japonaises en tenue traditionnelle devant les voitures de 1933. Beaucoup de choses à ne pas manquer avant liquidation, en particulier le dernier niveau. Plus de touristes ici, même perdus. Et pourtant. Sol en parquet d’époque encaustiqué, essayant vainement de mettre en valeur des meubles, déjà difficiles à écouler dans les années 50’. Etonnant marché aux poissons aussi animé que le trottoir du boulevard Haussmann un samedi après-midi de décembre. Atelier Robuchon quelque part, mais il faudrait chercher mieux. Etonnant jardin sur le toit « top island », pour Japonais rêveurs ou amoureux qui profitent de cette plateforme ensoleillée, promontoire historique que des tours toujours plus hautes ont transformé en petit val de verdure.

La Fondation Bridgestone, leader du pneumatique en caoutchouc, accueille, moyennant une obole de 800Yens qui lui assure sa tranquillité, le visiteur du soir bien intentionné. Au milieu des grands noms affichés indistinctement au mur, repose une Montagne Sainte Victoire et Château Noir, chef-d’œuvre de Cézanne bleu et vert. Parmi les Japonais venus à Paris du temps du grand et bon temps, une découverte pour les non avertis, Narashije Koide. Un chef d’œuvre, une découverte. On n’est pas N°1 mondial pour rien. 800Yens, ça les valait bien.

L’immense et splendide Tokyo Garden Square, au croisement avec Kyobashi (j’ai noté pour ceux qui voudraient gagner du temps sur place, les adeptes de Google earth ou les passionnés d’architecture), monte une garde rigoureuse qui plairait à Mis Van der Rohe. L’angle en face est gracieusement gardé par le Kyobashi-Sousei-Kan formé de deux parallélépipèdes, un de béton, l’autre de verre. Quand le noir tombe, Tokyo s’illumine. Les incrustations de verre dans le béton du Kyobashi-Sousei-Kan, qui assurent la liaison entre les deux matériaux, s’allument et changent de couleur avec douceur. Comme les gens qui passent sans faire de bruit. Il suffit de passer le pont, dessous, pour se retrouver dans Ginza à la sortie des bureaux. L’heure des salarymen et des Grandes Familles. Voitures et grand train de luxe dans l’avenue chic de Tokyo. C’est la nuit que Ginza s’allume. D’un bout à l’autre de Ginza, la créativité verticale géométrique des architectes est époustouflante et joyeuse. Le luxe s’assume bien ici. Submergé par les images, pas la peine d’aller plus loin, je ne vois plus rien. Il est l’heure de rentrer.

 

J217 mercredi 10 avril 2013 Tokyo-Ueno 20°C gris

IMG 8010 TOKYO CIRCULAIREFélix tente la résistance : « Je ne comprends plus pourquoi on est là, bosser ou visiter ? ». Mais contre « le Louvre de Tokyo », l’argument école ne fait pas le poids. Le métro habituel reste un spectacle tokyoïte majeur. Et, au-dessus de la gare d’Ueno, il y a un très bon restaurant. Poisson cru, sushis, viande grillée sur une plaque, miso soupes, petits accompagnements indéchiffrables. Vive le Japon !

Le parc d’Ueno a dû être beau avec ses cerisiers en fleur, mais nous étions à Kyoto. Et l’architecture du complexe de musées, lourdement commencée avec du néo-classique, finit par un tribut à Le Corbusier mal digéré face à la gare. Du Musée National de Tokyo, nous attendons beaucoup. Trop peut-être dans notre enthousiasme pour le pays et après le musée de Shanghai rempli de merveilles millénaires ? Présentations vieillies, collections intéressantes, les enfants ont vite accéléré le pas au milieu des céramiques lourdes, belles boites de laque incrustée, kakémonos répétitifs aux beaux cerisiers que nous comprenons mieux maintenant, armures traditionnelles... Certaines pièces les arrêtent tout de même : lames de sabres effilées pour Félix, kimonos brodés pour Garance, superbe paravent et estampes du début du XXème siècle pour Julia. Et dans la salle dédiée à la cérémonie du thé, quelques chefs d’œuvre du grand maître qui l’a codifiée. On apprend aussi en négatif dans les musées. Le Japon paysan, île isolée, maîtrisé pendant des siècles par les samouraïs, n’a pas la culture millénaire riche et raffinée de la Chine, carrefour du monde et maîtresse du sien. La grande histoire du Japon artistique commence vraiment autour du XVIIIème siècle seulement. Jamais envahi, beaucoup détruit, ayant évité les révolutions destructrices, respectant les familles et les clans, les grandes œuvres d’art sont restées dans des mains privées, appartiennent à des fondations de grandes entreprises. Sur une île, on cultive volontiers la discrétion. Les pièces exceptionnelles ne sont pas au Musée National, moins fréquenté que Ginza. On apprend beaucoup au Musée National de Tokyo. Le Japon est né avec la modernité. En crise depuis 20 ans, ses musées ont vieilli.

Nous faisons ensuite un mauvais tour au Musée National de la Nature et des Sciences. Cinéma à 360° qui donne mal à la tête, loin derrière la visite virtuelle de Shanghai, encore. Le leadership de la zone Asie est clairement en train de basculer. Salles destinées aux écoles, présentant la préhistoire du Japon, celle du monde et le milieu marin. Le Japon est fanatique des produits de la mer. Nous ressortons vite. Devant le Musée d’Art Occidental qui présente Rafael (nous reviendrons à Ueno), une mini-totale Rodin avec Le Penseur, la Porte de l’Enfer, Les Bourgeois de Calais. « Il est bien le penseur » Félix. « Alors ils ont tout donné pour éviter que la ville de Calais soit détruite ? » Garance. « Je me souviendrai toujours de la Porte de l’Enfer » Julia. Rodin affublé de l’inévitable Héraclès archer de Bourdelle. Sans Rodin, on aurait certainement évité Bourdelle. Mais Bourdelle est né à Montauban (fameuse dans la famille grâce à Audiard, aux Tontons et à l’Inde, pour les fanatiques du journal de bord) et a bien enseigné à de grands sculpteurs, alors on lui pardonne ses tonnes de fonte.

Les enfants rentrent en métro. Seuls avec des sourires fiers et désinvoltes. «  C’est direct ! » Julia. « On sort à Shinagawa » Félix. Garance a le papier de la résidence dans la poche. Ils sont passés de quelques mètres d’autonomie en zone dure, comme l’Inde, à la liberté, au tranquille Japon. Les parents, libres aussi, longent l’Ameyoko galerie, longue rue piétonne marchande asiatique, glissée sous les voies du métro. 18H00. L’heure de la soupe et des gyozas sur un coin de bar extérieur pour Choupie et Chris, de l’enfer du jeu à la sortie des bureaux et des petits achats pour les Japonais.

En hausse : les pins Tokyo 2020 (pour soutenir la candidature de Tokyo aux Jeux Olympiques)

En baisse : les réserves d’excellent thé noir chinois acheté à Hong-Kong

La phrase du jour : « Est-ce qu’on peut acheter quelque chose ici ? Non ? Ça leur ferait de l’argent pourtant… » Garance devant les kimonos du Musée National de Tokyo

 

J218 jeudi 11 avril 2013 Tokyo-Shibuya 23°C beau

IMG 8138 TOKYO CAFE A CHATSAujourd’hui est une journée particulière. Annie, la maman de Choupie, se fait opérer. Il faut attendre. Pendant que les enfants travaillent, que l’architecte de Bruxelles prend son temps, les parents vont faire les commissions à Tsukiji, le grand marché aux poissons. La grande classe. Festin de sushis à midi dans l’appartement. Dans le noir, Garance et Choupie vont se détendre à la japonaise à Shibuya, le fameux carrefour bondé que l’on voit en photo et au cinéma. 3 millions de personnes passent chaque jour par la gare de Shibuya. A l’étage, au calme, un bar à chats. 1500Yens (12€), pour se désinfecter les mains, un thé, la vue sur Shibuya illuminée et la proximité des chats libres de choisir leur maîtresse d’une heure. Pas le droit de : leur donner à manger, les soulever du sol, les réveiller, les exciter, les attraper, les caresser quand ils ont un collier rose. Les chats ont bien assimilé les règles. Une moitié porte un collier rose. Tous dorment pendant les heures d’ouverture du bar. Les rares Japonais qui passent sont venus prendre des photos pour leur page Facebook. Garance rentre déçue et bien décidée à ne pas choisir un persan hautain, comme animal domestique, à la rentrée. Shibuya la nuit est un spectacle.

En hausse : notre train quotidien à Tokyo

En baisse : les stocks d’école

La phrase du jour : « L’opération d’Annie s’est bien passée » nouvelles de Toulouse

 

J219 vendredi 12 avril 2013 Tokyo-Shibuya la nuit 20°C plus frais la nuit

IMG 8157 TOKYO SHIBUYAShibuya un vendredi soir. Partout dans le métro, plus de monde encore qu’habituellement. Cependant, on sent qu’ils peuvent faire encore plus concentré. Le lâcher de piétons, en carré et en diagonale, sur le carrefour illuminé de Shibuya, est impressionnant. Le Time Square tokyoïte dépasse le new yorkais. Garance serre la main de ses parents. Rendez-vous à l’angle de L’Occitane en Provence si nous nous perdons. Nous rayonnons autour de la place. En s’éloignant du centre, la densité du magma diminue. En sens inverse, la pression et le flux augmentent considérablement, sans provoquer la moindre appréhension. Le Japon dissout les vieilles peurs occidentales anormales. Pour ne pas s’entrechoquer, ils ont dû développer un sixième sens dès le plus jeune âge. On prétend que le pays vieillit ? Il n’y a que des jeunes. Pas de déprime possible au milieu de cette joyeuse foule entraînante. Chris suit les deux petits dans un excellent italien, pourtant 100% japonais. Après une Guinness frites au milieu des Brits, Julia est bien joyeuse au milieu des autres jeunes. Mais ce soir, c’est encore au bras de son père qu’elle rit.

En hausse : les géraniums rouges aux balcons des voisins

En baisse : les états d’âme

La phrase du jour : « Mais arrête, je ne suis pas bourrée, seulement un peu pompette. Tiens ! Regarde ! Et arrête de me faire rire, je ne peux pas m’arrêter… je t’interdis de mettre ça dans le Journal de Bord !» Julia


J218
samedi 13 avril 2013 Tokyo-Arajuku 21°C très beau

IMG 8164 TOKYO ECOLEArajuku bis. On ne se lasse pas de Tokyo, ni de ses quartiers tous accueillants. Shopping pour les filles, qui retrouvent le pantalon à tâches bleues pour Julia chez Kate Spade Saturday. Estampes japonaises au musée Ota, pour Chris. Sur Omotesando, ne pas manquer le building centre commercial Laforet : samedi soir, Lolitas assurées et spectacle uniquement de filles dans les étages supérieurs. En sortant par l’arrière, on trouve une rue parfaite : Shima, pour ceux qui apprécient les coiffures branchées tokyoïtes ou l’architecture réussie (pourquoi pas les deux ?) ; showroom Hasselblad pour les amoureux de la belle photo, ou du matériel de qualité suédoise ; ESP, pour son cube de béton pur. Une rue de calme provincial, où un olivier a pris racine. A deux pas, un nouveau mystère japonais. Johnny’s, déjà croisé plusieurs fois, mais jamais vraiment réalisé (il faut laisser infuser le Japon). Grand magasin blanc, où des filles passent retirer à un comptoir ce qui ressemble à des DVD enveloppés dans des feuilles quadrillées. Ouverture d’une feuille par une visiteuse : à l’intérieur, des tirages photos. Commandés par internet ? On invite à passer par le sous-sol. Les feuilles quadrillées et stylos sont en libre service, pour pointer les photos des idoles exposées qu’on aime et se les faire imprimer avant de repartir chez soi heureuse avec eux en poche. Photos volontairement médiocres, comme prises sur le vif par la groupie sur son Iphone. Les japonais sont des grands enfants ou s’amusent-ils d’eux-mêmes ? Peut-être les deux. Point culminant du look, la coiffure. A chacun son salon : Hair styling, Hair relaxation, Hair lounge, Hair menu, Hair Picasso, Hair make, Createur… Passez aussi voir l’arrière noir du building H&M de nuit. Profitez des Lolitas en flux tendu. Deux heures de queue debout pour du steak hawaïen surmonté d’un œuf ? Et pourtant, le japon est le pays le moins superficiel que nous ayons traversé.

En hausse : la biodiversité

En baisse : les Masters Chefs de l’Australie télévisée

La phrase du jour : « Ils sont quand même étonnants » Choupie

 

Ota Memorial Museum of Art : le pouvoir des femmes Edo

Dans la semi-pénombre qui protège les délicates œuvres d’art, j’ai du mal à voir. Les estampes se regardent en détail, avec des lunettes. Le sens global reste caché, ou invisible pour moi. Une certaine idée de la femme, du calme, de la perfection à décoiffer pendant le renversement de l’acte d’amour. Public trié sur le volet de la culture dans cette maison à deux niveaux. Des visages simples jusqu’à l’abstrait. Soies et drapés sophistiqués. Les Japonais n’ont pas fait les mêmes choix esthétiques que la Renaissance. Dessinateurs presque frustres. Peut-être par goût. Certainement par pudeur d’îlien. Coloristes géniaux, équilibristes subtils. Après un certain temps d’observation, les expressions des visages apparaissent. Les noms des artistes aussi. Un art d’initiés à l’œil tôt exercé. Composition légères malgré leurs extrêmes complexité et densité. Estampes faites pour être regardées longtemps et de nombreuses fois. Loin de notre spectaculaire. Inépuisables. Comme toutes les grandes œuvres d’art. Ces femmes finissent par être très expressives. Leurs gestes font référence aux rites ancestraux d’une culture profonde, où les détails sont tous essentiels, mais d’une beauté qui reste accessible à l’étranger. Moins d’une centaine d’estampes. Magnifique. Une sensualité à peine évoquée, toujours présente. Au musée Ota, on comprend mieux le Japon et aussi, à la sortie, ses Lolitas dans les étages du Laforêt qui traverse jusqu’à Omotesando.

 

Thé

Il est tard, je ne compte pas manger. A quelques rues aléatoires du grand flux, une maison de thé m’offre son repos et son expérience. J’entre. Le menu est en Japonais. Le théman unique me recommande, en anglais, un Sencha. C’est parti. Le nombre de gestes qu’il fait rend la mini-cérémonie complètement impossible à suivre. D’autant que les gestes destinés aux autres clients silencieux se mélangent sans ordre apparent. Le tout sans faire le moindre bruit, provoquer le moindre choc. Sauf le rire des deux costumes et du tailleur, noirs, qui semblent tous se connaître mais ont laissé un siège entre chacun d’entre eux le long du bar. Le Thé est une activité calme mais pas compassée. Comme le Japon. Il arrive très fort. Vert vomitif. Avec un goût profond de poisson mort froid. Certainement très raffiné. Demande de l’habitude. Pour chaque thé, il y a des gestes, récipients, théières, chaleurs, matériaux spécifiques. Il semble m’en préparer une deuxième demi-tasse, alors que je commence à peine à souffrir avec la première. J’accélère la cadence des biscuits salés. J’hésite entre avaler comme un médicament et tenter de comprendre en esthète aventurier. Pas le choix. J’opte pour la solution exigeante. Le préparateur a l’air content de lui. Tous les autres clients ont pris du thé chinois. Seul, j’aurais pu verser discrètement dans le grand grillage qui court le comptoir. Je ne m’y fais vraiment pas. Il a mis une sorte de panna cota au caramel devant moi. Jamais commandé ça et pas fan des desserts, ni du sucré. Mais là, c’est une aubaine. Le thé est de plus en plus dur en refroidissant. Et la deuxième tasse infuse depuis longtemps déjà. Trop non ? Le flan est neutre. Sauf pour le cholestérol. Mais entre vomir ici tout de suite ou mourir plus tard, je temporise. Il faut dire que j’adore le thé. Normalement… La cuillère du flan est en bambou. Je m’accroche à tousses détails qui peuvent e faire oublier l’agression du thé. J’ai abandonné la compréhension, basculé instinctivement sur le médicament. L’autre tasse va être rude. J’économise le flan. Je ne vois plus rien de ce que font l’expert, ou les autres patients. Je suis trop concentré sur l’absorption du remède. Le fond de la tasse est froid. J’ai beau chercher, je ne vois pas comment vider le fond de cuve refroidi. Je laisse. Il va voir que je ne touche plus à rien et venir me débarrasser. J’y pense…en général la deuxième infusion est plus forte. C’est là que le goût du poisson ressort. Je souris quand il revient de mon côté. Espoir : il me semble qu’il n’y a pas d’eau dans les feuilles. Oui ! C’est ça. Pas d’eau. Moi, je laisse infuser très peu de feuilles de Sencha, environ 30 secondes. Trop de thé, eau trop chaude, infusion trop longue et c’est foutu. Ils ne l’aiment pas comme moi. Ce sont eux les spécialistes. Le goût du thé en bouche est long, entêtant. Il me vide le fond froid de tasse. Les quelques impuretés aussi. Et il me reste les trois quarts de la panacotta pour tenir. J’hésite pour le deuxième tour. Ça fait bien 45 minutes que je suis ici, déjà. Ma femme va s’inquiéter. Il peut comprendre, non ? Appréhension naturelle au moment de la deuxième première gorgée. Ouf. Le même qu’à la maison en trop fort. Celui que je bois quand il est loupé. Mais mon estomac est déjà pas mal affecté par la première tasse. Je pensais ne pas manger ce soir. Maintenant j’en suis certain. Le théman a l’air satisfait avec ses deux tours. Pas de troisième round au programme. Ça ce serait bien. Oui, pas de troisième tasse. Si possible. Il passe derrière le rideau. Le gars à l’autre bout du comptoir a eu droit à un truc à manger. Salé, il me semble. Moi aussi ? Pour le pire ou pour le meilleur ? Incorrigible, je suis prêt à tenter ma chance sur le salé. Quoi que. J’ai maintenant ce fond de nausée âpre du thé vomitif, de l’estomac serré qui oppresse même le cœur et les poumons aussi. Heureusement, ma technique s’est affinée. Trois gorgées rapidement avalées suivies dans la foulée immédiate de deux bambous de flan caramel. J’alimente le volcan tout en augmentant le poids du bouchon. Un geste malheureux de sa part me fait trembler à l’idée d’une troisième tournée alors que ma tasse est encore pleine à moitié. Je vais lui demander l’addition directe. Il est Japonais. Il n’osera pas me proposer la tournée du patron. Je vois le fond du thé, mais aussi celui du flan. Et rien de salé à l’horizon. Il approche. Il m’a pris de vitesse. Grand sourire. Je l’ai préparé, mais ils sont plus forts que nous pour saisir les expressions cachées aux tréfonds du visage. « Arigato. It’s OK. It’s OK. Thank you very much ». Aucune insistance de sa part. C’est ça qui est bien au Japon. Même s’ils ne nous comprennent pas, ils n’essaient pas de nous convaincre. La vraie sagesse. Je lui laisse mesquinement un doigt au fond de la tasse. « il est froid… ». 2000Yens. 15€ avec le cours du yen qui plonge tous les jours. Donné, pour bien plus d’émotions sensibles qu’à la foire du trône. « Vous avez une carte de la maison ? ». Et ça économise un repas. Pas de carte. Dommage. Je ne pourrai jamais revenir. Tard le soir, rappel du thé : salive amère, goût persistant dans la gorge, palpitations cardiaques sans gravité.

 

J219 dimanche 14 avril 2013 Tokyo-Shinjuku 21°C variable

IMG 8167 TOKYO SHINJUKUShinjuku. On trouve tout ici, y compris l’indispensable superflu cher à Voltaire qui aurait aimé le Japon lancé dans la modernité. Shinjuku est la vraie gare où passent 3 millions de personnes par jour, mais dans le dédale des artères et veines souterraines, l’effet est moins saisissant qu’à Shibuya. Elle sépare le quartier en deux, l’est et l’ouest. L’est populaire aux larges avenues est le domaine du grand commerce, avec l’immense et lourd Isetan, de Chicago, comme pendant architectural au Matsuyama Art Déco de Tokyo. Du petit commerce aussi, avec, autour du temple jardin facilement oubliable, un marché aux Puces d’à peine 5 stands proposant photos, kimonos et bouts de tissus anciens à un maigre public composé pour moitié d’occidentaux à l’enthousiasme sceptique. Derrière le temple, un carré chaud. Minuscules allées étroites de cases anciennes proposant des activités traditionnelles tarifées ou bar à entraîneurs supposés plus chics aux angles. Dimanche matin, l’endroit est tout de même très calme. Dans l’ouest de Shinjuku, on marche le nez en l’air, tourné vers les sommets des hauts buildings. Peut-être une seule réussite, le Cocoon Tower. Le reste du quartier se raidit sous la lourde architecture administrative démonstrative, morte un dimanche de ciel gris venté. Et les tentatives de quadrillages des façades à la Mario Botta ne fonctionnent jamais, sauf parfois quand Maître Mario s’en charge. Les Japonais sont plus doués pour les petites colonnes animées. Au-delà d’une certaine taille, plus rien ne tient la mesure humaine.

En hausse : le Masters de golf à Augusta

En baisse : la confusion entre noms composés essentiellement de « i », « ou », « a », qui commencent à s’identifier

La phrase du jour : « Je déteste ce genre d’endroits où il n’y a rien d’humain » Choupie

 

J220 lundi 15 avril 2013 Tokyo-Ginza 21°C frais

IMG 8206 TOKYO YAKITORI DU SOIRDernier colis reçu de l’école. Un seul carton, avec la fin de toutes les matières, sauf, grandeur et mystère de l’administration, une série de physique manquante pour Julia, théoriquement compensée, en poids tout au moins, par pas mal de doubles systématiques inévitables. La journée commence le soir en amoureux sur la belle et gracieuse Ginza. Il faut traverser à chaque passage piéton pour admirer depuis l’autre côté les façades verticales étroites. On peut aussi faire un peu de marche arrière. Paradis perdu chez nous de la promenade sans aucune arrière pensée insécuritaire, dans les grandes ou les petites rues éclairées a giorno animées par un passage ininterrompu de tenues noires. La rue des Yakitoris (brochettes cuites au barbecue), est glissée sous les rails du métro de l’autre côté du Sony Building, derrière le nouveau théâtre kabuki en construction. Les tables sont occupées par des groupes de femmes, d’hommes ou mixtes de collègues de bureau. On nous montre toujours les Japonais empesés, au garde à vous ciré, sur le point de se kamikazer, le sabre sous le futon, pour un harakiri solitaire éventuel au retour. Ils sont assis en groupe à côté de nous. Leurs discussions sont animées. Nous avons fait le choix collectif de séparer définitivement le travail de la vie privée. Source de liberté, cette dichotomie entraîne aussi son lot d’individualisme, d’incompréhension, de solitude. En Asie, et pour cette fois le Japon est conforme à l’Asie, le travail fait partie de la vie. Ils rient beaucoup, après le bureau, ainsi que les deux filles d’à côté, qui ont manifestement beaucoup de choses à se dire et rien à envier aux parisiennes et leurs chapeaux, encore moins aux souveraines américaines. Fait exceptionnel, nous réservons 2 places pour demain soir, dans un restaurant de poche avec 9 places au comptoir, pas plus, pour un repas sashimis (poisson cru sans riz) qui commence par des huîtres dans leur coquille selon ce que nous avons repéré dans les assiettes. Nouvelle marche insouciante à travers Ginza. La grande façade horizontale laiteuse de Matsuya, est encore allégée par de longs traits lumineux horizontaux, dont la succession de tons uniformes a été savamment choisie. A Tokyo, les culots de verre, en lignes incrustées dans le béton de la façade verticale préférée de Chris, ajoutent à la douceur de vivre éclairée en couleurs. Même les cantonniers sourient, contents de rendre un service nocturne à la population ou à l’étranger qui passent. On peut rentrer en métro un peu avant la fermeture de minuit. Tranquilles. Comme tout le monde normal.

En hausse : les preuves qu’il est possible de faire « autrement »

En baisse : les jours qui nous restent à passer à Tokyo

La phrase du jour : « Tu t’es rasé avec le rasoir russe de Vladivostok ? » Garance qui n’apprécie pas les approximations américaines de Gilette

 

J221 mardi 16 avril 2013 Tokyo-Sumo&Ginza 24°C beau

IMG 8266 TOKYO SUMOSKasumi, notre hôte, nous a trouvé un beya, centre d’entraînement de sumos. Le grand tournoi de Tokyo débute dans un mois. Il paraît qu’on « peut les voir, mais de dehors, à travers une vitre » ? Encore une solution à la japonaise. Les sumos vivent, semble-t-il, sur l’ancienne gloire d’un Japon dépassé. Kasumi laisse entendre que personne ne s’intéresse plus vraiment au sumo en nous tendant le plan d’accès. Pas d’école pour les enfants, car l’entraînement, commencé à 7H00, finit à 10H. Les enfants préfèreraient l’école. Pour compenser, nous prenons un taxi direct. La fatigue de trois semaines statiques à Tokyo commence à monter. Au coin d’une rue de petites maisons à étages, « regarde, regarde, il y a un sumo là… ». Imposant mais pas très grand, avec une couette sur le sommet de la tête et des lunettes de vue amusantes. Mais, on n’a pas vraiment envie de l’énerver. Depuis la rue déserte, collé à la vitre entre les vélos et quelques touristes multinationaux, nous sommes tout de suite absorbés par le spectacle. La salle, rendez-de-chaussée d’une maison simple, est petite, lambrissée, le sol de terre gris foncé, avec au milieu un cercle défini par un boudin de paille où se succèdent les combats, les autres sumos autour attendant leur chance. Il y a là une vingtaine d’énormes gars, entre 100 et 200 kilos, qui se ruent l’un sur l’autre pour pousser l’adversaire hors du cercle. Le grand en ceinture grise avec une coiffure spéciale gagne tous les combats. Il semble être le maître. Le dégagement de force, de rapidité, de souplesse, de technique et de stratégie est impressionnant. Particulièrement de gars qu’on supposerait lourds et lents, de corps et d’esprit. Mais le Japon réserve partout ses surprises paradoxales. L’ambiance de l’écurie est très cordiale. Le maître mot ici, avant combat, est respect. Pour se détendre un peu après une dizaine de combats gagnés facilement, le maître pousse un sumo de 150 kilos à travers la piste, puis toutes les 4 ou 5 traversées, fait une roulade dans le sable gris que Félix, en ex-judoka, apprécie. Le spectacle passionne toute la famille. On sent le poids des hommes, de la tradition, de la culture du Japon. En restant une heure, puis deux, dans le froid de la rue sans soleil, on voit certains détails apparaître : les signes discrets des entraîneurs assis à l’intérieur, les rituels, les combattants et les figurants. Le vainqueur du combat gagne le droit de rester dans le cercle, plusieurs adversaires se pressent rapidement, il a le privilège de choisir son nouvel opposant, d’un signe à peine visible que nous avons souvent du mal à saisir. Bientôt, nous identifions les sumos, nous avons nos favoris, nos préférés, nous connaissons leur style et leur façon de combattre. Une hiérarchie se crée. En fait ils sont tous très différents. Nos préférés : un petit trapu bulldogs rapide qui part comme une bombe avec sa couette verticale, celui que nous avons aperçu dans la rue  en arrivant ; un jeune très musclé à peine enveloppé qui a le visage ovale et les yeux en amande qu’on voit sur les estampes  ; le même, en plus vieux et plus grand, un peu plus enveloppé, qui a une pommette sanglante ; un gros et grand qui connaît la plus longue phase d’invincibilité de la matinée, après le maître… Reste un ou deux anonymes et un monstre de graisse, que son poids handicape pour la rapidité, souvent choisi comme adversaire, rarement gagnant. Deux heures debout dans la rue passent vite, même en équilibre sur la margelle de trottoir, coincés entre les paniers à vélo des sumos que Choupie nous déconseille de bouger. Le temps de quelques assouplissements et de faire retomber le rythme cardiaque, voilà nos sportifs sortis, en grandes discussions riantes. Après quelque hésitation, nous leur demandons s’ils veulent bien prendre une photo avec nous. Ils sont ravis. Pas autant que nous. Sans anglais, nous arrivons à comprendre et communiquer. Surtout, tout le monde est content de se retrouver dans la rue, avec ce sens de la cordialité respectueuse dont les Japonais ont le secret. « C’est la meilleure photo du dimanche depuis le foot en altitude au Bhoutan » Félix.

IMG 8274 TOKYO SUMOSNous marchons gaiement sur les berges aménagées de la rivière, jusqu’à nos prochains rendez-vous sumo du jour : le musée sumo, le restaurant sumo et le musée Edo, qui lui ne raconte « que » l’histoire de l’ancienne Edo, devenue Tokyo. Le musée Edo, s’il n’est pas inoubliable, ou spectaculaire, est intéressant. Il participe à notre infusion japonaise lente. On y ressent l’habitude ancienne de la densité de population et du commerce entre les provinces du pays. Des maquettes de villes traditionnelles, à une Subaru de poche première voiture citadine du pays, en passant par l’original de l’acte de rémission sans concession du Japon pour finir la seconde guerre mondiale et le drapeau des JO de 1964 à Tokyo. Nous croisons-là deux français. C’est terrible. Le musée sumo consiste en une seule salle, prisée des touristes, avec trophées, tirages photos noir & blanc d’époque, mais nous ne pouvons pas voir la salle des combats. Comme nous sommes maintenant fans des sumos, nous apprécions le lieu. Le restaurant sumo, lui, est à oublier, pour la cuisine, mais nous permet de toucher une vraie piste de sumos et de déjeuner à un mètre d’elle. Dans l’après-midi, les séries de l’école sont difficiles à boucler.

IMG 8298 TOKYO DANZEN SUSHISAu moment de ressortir, fatigués, les parents hésitent presque à honorer leur réservation à la volée d’hier soir, dans le bar à 9 chaises. Mais cela ne se fait pas et ils ont le pressentiment que, même sans faim, dîner et promenade du soir seront agréables. La magnifique famille de Sushi Danzen, prépare devant leurs yeux, le meilleur repas depuis une mémorable soirée de désespoir décapotable. Arrosée depuis trop longtemps par une pluie incessante entre Bruxelles et la Côte d’Azur, elle avait fini dans l’allégresse chez Bernard L’oiseau à Saulieu. Ces poissons crus sous toutes leurs formes, sont les meilleurs jamais mangés par Choupie et Chris. C’est sûr. Accompagnés de la simplicité absolue du lieu, de la fierté inquiète du père, joyeuse du fils, du sourire amusé de la fille, de l’enthousiasme des consommateurs coincés entre le comptoir et les panneaux coulissants, on proposerait volontiers 3 étoiles à Michelin pour ce bout de bar encastré sous les rails du métro qui le fait trembler. Générosité précise de la cuisine, générosité spontanée du cœur, cordialité vraie, les Japonais sont parfois faciles à comprendre. Tout le monde veut sa photo : Choupie et Chris de la famille d’accueil et des clients du restaurant, les clients celles des gangis, même le père fondateur prend une photo de son fils cuisinier avec les Français. Rien de tel que manger pour rapprocher les peuples civilisés. Un grand moment du Tour du Monde, dans une boite sous-terraine de douze mètres carrés.

Reste encore la promenade. Dans les perpendiculaires et les parallèles à Ginza. Encore un autre Japon, une autre Ginza. La nuit des bars à hôtesses luxueuses en étage, chauffeurs, gardes du corps dans la rue. Sortant des ascenseurs, hommes sérieux à peine décrispés, équipage d’hôtesses en robes du soir, maquillage, talons hauts et costumes pliés en deux autour des automobiles noires démarrant dans les rues éclairées. Les femmes agitent leurs mains vers leur dieu du soir, parfois accompagné de sa femme sur le chemin du retour au foyer. Un mystère pour latin. Choupie aime le métro de Tokyo, Chris aussi. Dernier métro jusqu’à Shinagawa.

En hausse : le budget quotidien

En baisse : la température

La phrase du jour : « tu arrives à suivre avec le journal de bord avec tout ce qu’il se passe au Japon ? » Choupie

 

J222 mercredi 17 avril 2013 Tokyo-Odaiba 20°C gris

IMG 8308 TOKYO ODAIBAParfois, ça loupe. Odaiba est une grande île artificielle qui a permis à Tokyo de pousser au milieu de sa baie. Une sorte de désert désagrémenté de grands bâtiments mort-nés dont on n’espère rien, si ce n’est que personne ne soit obligé d’y vivre. La vie ne s’est pas accrochée au béton, arrachée par les courants d’air marins qui circulent librement entre les parkings de plein air et les dalles inter-immeubles. Le seul déjeuner possible est dans le musée des nouvelles sciences de la technologie, une des attractions du jour. Mais la cuisine s’accommode mal des techniques sidérales : les steaks hachés n’aiment pas être réchauffés au bain marie ; les sauces gluantes en poudre sont difficiles à cerner ; le poulet peut toujours repousser les limites de son ignominie. La matière résiste à la technologie. « Je ne sais pas pourquoi, il y a une force qui te pousse à manger quand même. Mais après un repas comme ça, tu as l’impression que tu n’auras plus jamais faim » Julia. « Ça dégoûte du futur, surtout ! » Félix. La cuisine de demain, c’est des poubelles pleines de nourriture à recycler. La musique cosmique participe à la sidération de cet univers vitré. Urbanisme, architecture, musique, nourriture, l’escalade de la désincarnation urbaine du Tokyo gris touche son pire à Odaiba. Le musée tient du cours de science pour enfant du secondaire, soutenu par la bonne parole mondialiste, relevé par de rares robots avares de démonstrations. « Ça fait un peu les techniques du futur d’il y a quelques années… » Julia. On ne s’y ennuie pas, mais nous passons vite, sauf dans le vrai sous-marin des profondeurs (-6500m) et dans la vraie capsule spatiale MIR. Les enfants mettent une bonne volonté bienveillante à se laisser entraîner. Nous attendons beaucoup, ensuite, du MegaWeb Toyota, sommet de la technologie marketée du premier constructeur mondial. Très beau hall d’exposition-vente, agrémenté par une ou deux attractions dysnéiques adaptées au monde de l’automobile et des jeux de foires comme un circuit de karts. Nous avions une meilleure image de Toyota, avant qu’après le MegaWeb. Cependant, nous avons pu éliminer la IQ, trop fermée, de la liste des voitures de la famille en rentrant à Bruxelles.

Le meilleur moment de la journée : l’aller et le retour en monorail sans chauffeur, qui permet de se positionner face à la voie et de comprendre toujours un peu mieux Tokyo. Une ville à l’espagnole, faite pour vivre dehors. Dès qu’on est dans la rue, on se sent bien. Proximité et compréhension avec les autres passants dont on se sent proche malgré la distance. Et, à expérimenter à tout moment la courtoisie nippone, on y prend goût. Il y a, dans nos contrées sauvages, un côté désuet à être bien élevé. L’agressivité, devenue la règle des uns, est le rempart des autres. Il faut être invisible ou prêt à se battre. Les occidentaux prouvent qu’ils acceptent chaque jour une restriction supplémentaire de leur liberté de mouvement. Pas le Japon.

En hausse : le maintient individuel et collectif familial

En baisse : les provisions dans le placard et le réfrigérateur

La phrase du jour : « J’aimerais bien être dans l’armée, mais j’ai pas le physique… allez, pourquoi tu ris encore ? » Garance

 

J223 jeudi 18 avril 2013 Tokyo-Ecole 25°C bleu

Fin de l’histoire pour Julia et Chris, avec une dernière série de 200 pages sur la colonisation et des devoirs qui n’en finissent pas. Fin du latin pour Félix, bel exploit du couple Félix-Choupie, qui s’est accroché pour aller bien au bout de cette intraitable matière aux difficultés insondables. Dernière série d’algèbre pour Julia qui sait faire des choses, en seconde, que ses parents ne savaient pas faire, en prépa. Les belges sont forts en maths et il paraît que le programme de l’EAD (Ecole à Distance) est plus difficile que le programme normal. Il reste des bouts de matières moins solides et l’école sera bien pliée bientôt.

IMG 8370 TOKYO TOKYO DOMEDepuis une semaine, nous (Chris, Julie et Félix) avons réservé des billets pour le grand match de base-ball. Giants contre Tigers, la grande rivalité, histoire d’aller voir comment se comportent les Japonais les plus américanisés et le Tokyo Dome. Ambiance très bon enfant, jeunes-filles souriantes en short court et tonneau de bière pression sur le dos dans les travées du stade, bentos (plateaux repas) et baguettes en guise de hot-dog, écharpes, instruments à bruit, nous sommes en Japérique. La grande équipe, championne en titre, c’est les Giants, mais le public jaune et noir encourageant les Tigres est plus chaleureux. Les enfants choisissent de supporter les Tigres. Bonne idée. 2/0, puis 4/0, 5/0, 7/0, 8/0… Il n’y pas vraiment de suspense quand on sait qu’un score final de base-ball ressemble à 3/2 voir parfois 1/0. Julia crie parfois quand nos favoris arrivent avec une fraction d’avance ou de retard, sur la balle, à la base. Très bonne soirée familiale de bonne tenue. Ici, comme partout ailleurs, on n’a pas besoin d’avoir peur ou de faire attention, sauf aux autres pour tenter de se comporter aussi bien qu’eux (même si se mettre les doigts dans le nez, ce n’est pas terrible monsieur…). Au retour, le taxi nous fait passer par la gare de Tokyo et sa belle façade basse qui sent le dix-neuvième siècle. Au carrefour préféré de Chris à Tokyo, nous descendons une minute. Leur architecture sous contraintes fortes est exceptionnelle. Aussi belle que vivante et vivable. Félix adore la majesté régulière du Tokyo Square Garden, Julia la douceur du Kyobashi-Sousei-Kan de béton lumineux. Chris adore être là, avec ses enfants, heureux. Le Japon tient l’esprit en alerte amicale quand le corps se sent en sécurité.

Les cinq sens toujours en éveil étonné, le corps à la recherche instinctive d’attitudes inhabituelles, l’esprit saturé d’interrogations sans cesse renouvelées, l’usure japonaise imprime sa marque jaune sur tous les membres de la famille. Loin de l’exposition physique imposée par la Sibérie, de la corrosivité éreintante Indienne, de l’oxygénation rustique en l’altitude bhoutanaise, du relâchement absolu non métaphysique australien, le Japon polit en douceur sûre d’elle-même. Il est temps de bouger un peu pour changer la face exposée à la brosse. Nous avons choisi le tour de la région du Kanzai, en voiture, avec GPS parlant anglais...

En hausse : le Bureau Takanawa, notre adresse à Tokyo

En baisse : le rythme scolaire

La phrase du jour : « Quand j’aurai une boite qui sera bien lancée, je mettrai tout le siège dans un bâtiment comme le Tokyo Square Garden » Félix. « Il va falloir que mon mari s’adapte, parce que moi, je préfère aller voir du base-ball au stade, plutôt qu’aller dîner dans un restaurant de luxe » Julia