Lundi 10 mai 2004 : diamants.
GMTFr : +6H00 16° sud 129° est météo : bleu voilé
Vol pour Choupie et Chris, sur Slingair, très sympathiques, au dessus du lac Argyle, vers la Argyle diamonds mine. La mine dont on extrait le plus de diamants au monde, avec un tiers de la production mondiale et, une grande spécialité, les diamants colorés. Pour une fois ce n’est pas la De Beers qui tient les rênes, mais Rio Tinto, son concurrent.
La visite, à l’Australienne, traîne en longueurs avec les périphériques, terrain d’atterrissage privé de la mine, village des mineurs, inévitable boutique souvenirs des mineurs, salles tout confort (lounge, salles de gym), pour les mineurs, (ça ne risque pas d’être pour les abonnés, la première ville est à deux heures de piste quand elle n’est pas inondée), tout pour les mineurs, qui passent 14 jours là à travailler 12 heures par jour ici avant de repartir 14 jours chez eux se reposer. Déjeuner à la cafétéria des mineurs. Amanda, notre pilote féminin du jour, a pris cinq kilos en venant déjeuner régulièrement ici, nous en aurions perdu dix, question de repères une nouvelle fois .
Nous reprenons notre minibus pour entrer enfin dans le vif du sujet, la mine elle-même. Passage du poste de sécurité, montée au sommet de la colline, quelques centaines de mètres plus haut, lunettes de protection et vue sur le cœur du monstre. Gigantesque. Une ancienne montagne, découpée à coups de dynamite et de grues titanesques, a laissé la place à un cratère de 600 mètres de profondeur qui fume de poussière, avec un étang vert, vestige de la fin de mousson, au fond. Roues à 35.000 dollars, pelletées de grue de 40 tonnes, camions de 200 tonnes qui transportent leurs bennes remplies de 250 tonnes de gravas à concasser, des millions de tonnes de pierre retournés chaque année, fabrication du plus grand lac d’Australie tout à côté, qui a transformé totalement le paysage, la faune et la flore, pour laver la pierre et relaver la pierre. Tout ça, pour extraire 7 tonnes de diamants par an, 15% d’une seule gruée. A la mesure de l’Australie, de la folie des hommes et de leur esprit industrieux.
La montagne écorchée a maintenant l’allure d’une pyramide inca, en escalier, mais chaque marche fait plusieurs dizaines de mètres de haut. Tout étant démesuré, il faut quelques objets habituels pour se rendre compte de la taille réelle des choses ici. Une roue de camions fait deux hauteurs d’homme, la cabine de pilotage des engins est au cinquième étage d’une maison, le premier pilon, qui concasse les roches, avale en quelques secondes, les blocs de plus de deux tonnes déversés par les camions. Une dizaine d’hommes suffit pour contrôler toute l’usine, de la ronde de camions qui déversent leurs 250 tonnes de gravas chacun, au diamant brut final.
Pas de statistiques, aucune information à propos de la sécurité, du transfert des diamants d’ici au siège de la société à Perth, du chiffre d’affaires de la mine ou de la société. 500 millions de dollars australiens d’investissement initial et des études en cours pour savoir s’il sera rentable d’exploiter au delà de 2007, en creusant des galeries, quand la veine à ciel ouvert sera épuisée. C’est tout. Ici on dynamite, (blast, les anglais possèdent souvent des mots évocateurs), le matin, on fait visiter l’après-midi. On ne montre pas non plus le cœur de l’usine, la machine à rayons X, qui repère et trie les gemmes à coups d’air comprimé piloté par ordinateur. 99,9% des diamants sont ainsi récupérés. Il paraît qu’à épuisement de la mine, Argyle devra tout remettre en état, sauf le trou. On se demande ce qu’ils vont pouvoir faire des kilomètres de collines de poussière noire accumulée le long de la route, résidus du concassage.
Le show room montre les seuls diamants visibles lors de cette journée étrange. Champagne, cognac, (la France est à l’honneur), rose, c’est quand même le blanc qui reste le plus beau. La qualité industrielle, elle, ne fait pas rêver. Retour en avion, Choupie et Chris seuls avec Amanda, le couple d’Australien qui les accompagnait poursuit sa journée par un survol des Bungle Bungles. On ne saura pas non plus, cette fois, le vrai prix de revient d’un diamant et la marge faite sur le rêve des femmes, mais elle doit être confortable vues les centaines de millions de dollars offerts chaque année par la mine aux aborigènes du coin, histoire de se donner bonne conscience, ou de payer sa dîme ?
La phrase du jour : « Papa tu ne devrais pas dire funkinell. Ce serait mieux que tu dises flûte. » Félix.
Mardi 11 mai 2004 : grande journée à El Questro.
GMTFr : +6H00 16° sud 128° est météo : grand bleu
Nous arrivons à partir de Kununura à 10h00 du matin, avec une heure et demi de retard sur notre horaire espéré. Il faut dire que bagages à fermer, pic-nique à acheter, réservoir de gasoil à remplir, pneus à dégonfler (pour la piste), sont des choses que nous préparons généralement la veille. Mais notre destination du jour, El Questro, est à moins de 100 km, ce qui, par les temps qui roulent, nous semble la porte à côté et conduit à un certain laisser-aller.
Première étape, Emma Gorge, la gorge la plus spectaculaire du Kimberley, dit la brochure locale. C’est surtout la plus caillouteuse, à remonter le cours asséché de la rivière en saison sèche, à escalader puis redescendre en permanence des rochers, en plein soleil au début où il n’y a pas grand chose à voir, enfouis sous la verdure ensuite, d’où l’on ne peut plus rien voir. Le gars qui a écrit le prospectus n’a jamais du mettre les pataugas aux Bungle Bungles, ni entendre parler de Edchina Gorge ou de Mini Palm Gorge. En plus, on nous a dit une heure pour l’aller-retour, et nous mettons 50 minutes au lieu de 30 comme prévu, à l’aller. C’est long, pénible, chaud et à part cracher dans un trou d’eau pour faire grouiller les poissons, pas grand chose à se mettre sous la dent. « « Plus que 200 mètres et ça vaut la peine », nous disent des Australiens sur leur chemin du retour. « Plus que 50 mètres et c’est vraiment très beau », nous indiquent d’autres Australiens, dix minutes de marche plus loin… Nous nous rapprochons, c’est la seule indication consistante pour l’instant. Puis nous arrivons. Grande ouverture au fond de la gorge, piscine circulaire creusée par deux cascades de cent mètres de haut dont une qui tombe en petite douche fine et l’autre en gros torrent, rayons de soleil qui descendent jusque sur la petite plage. Nous ne résistons pas à la tentation de baignade dans l’eau fraîche crocodile-free. Les touristes sont nombreux, Australiens en villégiature qui fréquentent les lieux tous les jours pour se baigner, étrangers amenés en bus 4X4 par Australian Adventure, que nous voyons dans tous ces endroits genre pseudo-aventure. Car les Australiens des cités sont les rois de l’adrénaline facile, ils aiment avoir l’impression de se faire peur, sans risque et en groupe. Pour les vrais durs du bush, c’est autre chose, la vraie aventure, c’est tous les jours, du normal, du même pas à relever ni à raconter, rien à dire, le quotidien, quoi. La descente vaut la montée, nous ne mettons pas moins de temps. Nous pic-niquons sur la belle pelouse du restaurant du resort El Questro.
Choupie nous avait prévu un programme en trois gorges, mais Emma nous suffit pour aujourd’hui. Direction notre campement, pour une tentative tardive de tour en bateau sur la rivière, c’est le moteur qui va travailler, pas nos jambes. Nous le faire, (we make it), mais le bateau pour la Chamberlain Gorge est plein, plus de place pour famille nombreuse. Nous louons notre propre bateau, reste-t-il une batterie ? il reste. Nous voilà avec un moteur électrique, une batterie de camion, une canne à pêche louée 25 A$, (15€, soit plus que le prix de la canne et du moulinet), affublée d’un leurre pour très gros poissons. A l’aventure. Il ne reste plus qu’à trouver le bateau à 10 ou 15 mn de 4X4 du camp. Nous trouvons le bateau. Rouge positif, noir négatif, tout le monde à bord de notre « tiny », sorte d’annexe en aluminium de 12 ou 13 pieds, on tourne la poignée, le moteur ne fait aucun bruit, la Chamberlain Gorge est superbe. Grande paroi rocheuse orange, éclairée par le soleil couchant, à bâbord, forêt vert foncé dans l’ombre à tribord, eau parfaitement lisse. Félix et Julia se relaient, un à la barre, ça zigzague pas mal, un à la canne, ça pêche peu. Très bon moment, tout le monde est content, ça avance tout seul. Une touche, mais peut-être plutôt le leurre accroché au fond, nous arrivons au bout de la rivière en moins d’une demi-heure. Le tour public fait l’aller-retour en trois heures avec plein de touristes en plus. Nous accostons au moment où justement, ils s’en vont, parfait. Ils ont juste le temps de nous montrer les poissons « spliters » (cracheurs), pas plus de vingt centimètres, ils lancent un jet d’eau jusqu’à deux mètres hors de l’eau pour faire tomber les insectes ou les bouts de pain qu’ils chassent à coup de karcher.
A terre, on cherche et on trouve les peintures rupestres. On dirait qu’il y en a peu, mais tout le monde trouve un nouveau dessin, une main, des animaux, une femme, un homme, des mains comme à la Cuevas de las Manos (les enfants se souviennent très bien de ce bout d’Argentine stupéfiant), d’autres hommes, tout cela peint en rouge ocre sur les surplombs de roche rouge, dans cette gorge superbe, dans la douceur de fin de journée. Garance adore marcher sur les grandes dalles de roche polies par les moussons des cent derniers milliers d’années.
Descente de la rivière au ralenti, ligne dans l’eau, Julia à la barre, Félix à la pêche. Fausse touche encore, le rapala s’est accroché au fond. Julia nous fait raser les rochers, elle barre très bien grâce au stage d’optimiste des Landes de l’été dernier, Félix dont le but dans la vie est de conduire tout ce qui se déplace, y arrive très bien aussi. Nous ralentissons, le moteur, qui ne faisant pas beaucoup de bruit « à fond », n’en fait plus du tout au ralenti. La Chamberlain Gorge est à nous, déserte, silencieuse, sombre, ciel bleu et rose au bout. Tsing, le moulinet part à toute vitesse, cette fois pas de doute, c’est un gros poisson qui est au bout. Moteur à l’arrêt, frein du moulinet serré petit à petit, la canne se plie, le fil ne casse pas, c’est un miracle. Chris ramène petit à petit, le poisson tire un grand coup, le moulinet, pas trop serré, repart, puis un grand bond hors de l’eau, c’est un gros barramundi. Nous voilà sans rien, pas d’épuisette, pas de crochet pour le remonter à bord, pas de chiffon, rien. Le barra se bat comme le roi qu’il est, passe plusieurs fois sous le bateau, reprend du fil, magnifique. Il finit par être au bord du bateau épuisé, reste à l’attraper à la main et à le remonter à bord. Pas beaucoup de candidats, c’est le boulot de Chris. Il inspecte son premier barramundi, pas d’épine dorsale, pas d’épines du côté des ouies, pas de dents tranchantes, il saisit la bête par les ouies et le monte à bord. Le barra, épuisé, n’a pas réagi. Nous n’allons pas le ramener au camp, ça nous ferait un grand coup de pub mais nous savons que les gros poissons ne sont pas les meilleurs et que les poissons d’eau douce ne sont généralement pas fameux. Nous décidons de le remettre à l’eau, la course contre la montre commence, il faut lui enlever tous les hameçons avant qu’il ne soit mort. Le leurre possède trois hameçons triples, le troisième ne s’est pas accroché, celui du milieu a accroché la gorge du barra, le premier a deux hameçons plantés dans la bouche. Nous nous attaquons à l’hameçon du milieu. Il est passé sous la peau, impossible à enlever. Choupie et Chris se succèdent, sans succès au chevet du patient, mais à main nues. Pas d’opinel, pas de coupe ongles, rien de tranchant sur la bateau. Nous mouillons le poisson pour qu’il résiste encore un peu. Félix fournit un bâton, contre toute attente, à la première tentative, les deux hameçons de la bouche se détachent. Il ne reste plus que celui de la gorge, Choupie très décidée arrive enfin à l’enlever, le barra est libre. Nous le posons sur la règle collée à la banquette du bateau. Ici, on ne peut garder un barramundi que lorsqu’il mesure plus de 55 centimètres, un vrai monstre chez nous. Le nôtre fait 70 centimètres, mesuré à la règle ! Fantastique. Dans un silence absolu à bord, tout le monde suspendu au suspens, Chris remet le poisson à l’eau comme dans Chasse & Pêche à la télé, en lui ventilant les ouies pour le revigorer, mais prend conscience de la situation : un barramundi blessé, une gorge maintenant noire, des crocodiles d’estuaires (d’eau salée, les méchants dangereux) en pagaille, dont un a essayé une nuit de l’année dernière de tirer une tente et son occupant à l’eau, en plein camp, l’heure de la chasse pour tous les prédateurs du monde. Chris lâche le barramundi rapidement. Une fois lâché, le barra se retourne mollement et remonte vers la surface ventre en l’air. Consternation générale à bord. Coup de queue, le revoilà ventre en bas, un autre, il avance un peu, puis démarrage en trombe du barra qui n’en demandait pas plua. Hourrah ! C’est la fête à bord, tout le monde est encore plus content du départ du barramundi que de son arrivée. Julia chante « Barramundi, Barramundi… » sur le chemin sombre du retour à la « jety ».
Il est déjà 17h30, il fait nuit noire sur la route, nous roulons en deçà des limites de vitesse, une fois n’est pas coutume, les gros phares du Nissan éclairent la piste étroite, c’est la joie dans la voiture. Un éclair, un saut à toute vitesse, un choc sourd, la voiture qui saute un peu, pas le temps de faire quoi que ce soit, un kangourou s’est jeté sous les roues, nous ne pourrons pas sauver cet animal. Dommage. Bon dîner au camp, salades et lasagnes à 18h30. Avant 20h tout le monde dort.
Marche, baignade au fond d’une gorge sous une immense cascade, bateau électrique soleil couchant, peintures rupestres seuls, barramundi de 70 cm, kangourou. Vive l’Australie.
La phrase du jour : « On ira encore à la pêche ? Ici ? » Félix.
LES
PHOTOS / LE CROCODILE / PHRASES DU JOUR AUSTRALIE