SIGNES
On croise une voiture, on fait un signe. Il y a tellement peu de gens sur la route, qu’on se fait un signe, comme les motards solidaires le font encore chez nous quand ils se croisent, mais ici, c’est tout le monde. La reconnaissance des hommes au milieu d’un milieu hostile trop grand. Un signe d’appartenance pacifique au monde des humains.
Le signe est petit, discret, mais très hiérarchisé, plein de sens. On lève un doigt, l’index, du volant : je daigne, sans snober, nous sommes tous des hommes, je t’ai vu. Deux doigts, index et majeur de la main sur le volant, l’autre main invisible pour le croisé, posée sur l’accoudoir : plus fraternel, d’égal à égal, mais un rien désinvolte, je suis cool. Deux doigts, mais les deux index, mains sur le volant : plus rigide, peut souvent vouloir dire je reste concentré, virage, endroit étroit. Une main ouverte à plat, présentée à plat paume vers l’avant : tu es mon ami, mais seulement quand on roule doucement, ou qu’on répond à un ami qui a ouvert sa main, mais attention, pas trop près du pare-brise, car, sur la piste surtout, on pourrait croire à une manœuvre anti-brise-glace. Certains envahisseurs, présentent leur main ouverte, mais comme s’ils tenaient une boule : ils attendent trop.
Un autre critère fondamental est : qui parle le premier, qui répond. C’est un peu comme au bridge, l’ordre compte, ou comme dans un western, qui va dégainer le premier ? Généralement, le plus faible, celui qui vient de moins loin ou est le moins équipé pour aller loin. La voiture traditionnelle avant le camping-car, le petit camping-car de location avant la caravane manifestement baroudeuse, le 4X4 standard avant le 4X4 équipé pour le hors piste, tout le monde avant le road train, pour ceux qui osent lever le doigt vers un road train. Mais on peut se montrer généreux et parler le premier, surtout quand la hiérarchie est évidente. Quant à une réponse indexée d’un road train, c’est plus qu’un encouragement, c’est une reconnaissance. On remarque enfin que, comme souvent, les hommes en bande sont plus fermés et une caravane de plusieurs 4X4 ou caravanes, ne rend presque jamais un signe. Parfois, on se décide trop tard et pas de signe échangé, parfois on rêve, on oublie, on s’en veut presque.
L’age du conducteur, sa mise, l’état de vétusté (un plus), l’état de saleté (autre plus), le professionnel, l’amateur, tout compte dans l’évaluation du poids de chacun et donc du signe à donner ou recevoir. Le type de route aussi compte beaucoup. Sur les plus difficiles, les plus écartées, les plus renommées, tout le monde des durs se reconnaît, sans emphase, mais avec le respect qu’on a pour son égal, qui fait ça. Sur les plus courues, les fausses pistes, l’habit fait le moine, on se méfie des usurpateurs, on reste toujours très discret.
Chris mesure ses signes, les envoie forts et clairs, émet ou répond. Choupie, très concentrée, dit parfois bonjour, signe très personnel, petit mouvement rapide avec la main, je t’ai vu, pas le temps, trop de boulot ici, parfois après avoir croisé, quand le danger est écarté, parfois avec la main invisible par le croisé, mais généralement sans signe du tout.
Signe indien ou signe magique. Il y a toujours un relent de jeteur de bon ou mauvais sort dans un signe lancé avec la main. C’est peut-être pour ça que les Anglais n’aiment pas tendre la leur ?
On a de quoi s’occuper par ces longues routes droites australiennes. |