Journal de bord
CHILI
Janvier 2004 / PATAGONIE - LA CARRETERA AUSTRAL

GMTFr = heure locale au méridien de Clermont-Ferrand.
-4H => 12H (midi) à Clermont-Ferrand = 08 Heures du matin à Santiago

Dimanche 04 janvier 2004 : las Capillas de Marmol et la Route des Explorateurs.
GMTFr : -4H 46° sud 73° ouest météo : ciel bleu et nuages
Aujourd’hui c’est dimanche. C’est le jour où Chris se rase, où nous prenons la photo de la famille, où nous faisons une excursion. Même au bout du monde, dimanche, c’est dimanche. Surtout quand il fait beau et qu’on a un bon programme, du dimanche. Pour nous c’est Capillas de Marmol et carretera de los exploradores. Un peu de voiture à faire, mais à notre rythme.
Les Capillas de marmol, c’est en petit bateau, sur le lac, depuis Puerto Tranquilo. Pedro, que l’on interpelle au moment de l’asado du dimanche, nous emmène. Capillas, Chapelles. Marmol, marbre. Le lac a creusé des cavernes dans une roche. La roche est du marbre. Majoritairement blanc, le marbre est veiné de jaune, gris, noir et d’autres roches. Simple, efficace, de bon goût et beau. En plus, l’érosion a été assez importante pour laisser le passage à une petite barque avec une famille à l’intérieur. Très pratique. Bien éclairé par le soleil. Le lac d’huile nous permet tous les gymkhanas à l’intérieur des petites grottes. Le marbre blanc sous le lac bleu transforme la couleur de l’eau en turquoise. Un coin de beauté douce et paisible dans cet univers de brutes montagneuses. A peine commencé, déjà finie, la visite d’une heure. Pas le temps de profiter de l’endroit autant que nous aurions aimé. Certainement parce que le temps passe vite dans des endroits comme celui-ci. Mais certainement aussi parce que l’asado du dimanche, c’est sacré. Et Pedro commence à avoir carrément faim. Nous aussi et, sur les conseils du capitaine, nous déjeunons au village, chez Irma. C’est dimanche. Plat unique. Asado. Donc, un asado pour tout le monde et une salade pour Maud. Il est aussi bon que celui d’hier chez Ricardo, peut-être meilleur et aussi un peu plus gras.
Après l’asado, nous reprenons la route. Cinquante kilomètres dans une vallée, en direction de la lagune de San Rafael avant que la route, en construction, ne s’arrête. L’endroit est très beau. C’est la vallée des glaciers et des cascades. Les cascades surtout enchantent les enfants et nous nous arrêtons plusieurs fois. Mais le clou est quand même la fin de la route. Kilomètre 44, un lodge d’Allemand en construction au creux d’une vallée encaissée. Kilomètre 48, une cabane en bois pourrie pour un improbable tour en barque au dessous d’un glacier. Les derniers mètres en très mauvais état. Kilomètre 50,245 fin de la route. Pas de travaux en cours. Rien. Fin de la route. C’est tout. Un jour, « ils » finiront les cinquante kilomètres restants pour aller jusqu’au bord de la lagune San Rafael en voiture. Ambiance très particulière. Pendant le retour vers Puerto Tranquilo, tout le monde dort sauf Maud et Chris.
La Patagonie pèse. L’endroit est beau mais pas facile. Il finit par éroder. C’est le genre Canada, mais sans repos possible. Sauvage les deux, mais rien de connu ici. Isolement total, infrastructures réduites au minimum, culture différente. En Patagonie, ce ne sont pas des gens comme nous qui habitent. Au Canada, si. Au Canada, on trouvait des îlots de civilisation moderne, au sein et respectueux de la nature. Ici, c’est la nature. Point. C’est une des choses que nous cherchions. Nous l’avons trouvée. Pas sûr que cela nous convienne trop longtemps. Et encore, nous n’avons vu que la partie la plus accueillante par beau temps. Pas encore le grand sud plus de mille kilomètres plus bas ou l’hiver. Ce doit être encore une autre dimension ça. Nous avons fini par prendre conscience de la force du lieu. Nous allons nous adapter.
La soirée se passe nez sur les cartes. Par où passer pour aller en Argentine. La grande aventure du sud par Villa O’higgins, une boucle jusqu’à Caleta Tortel, le village sur pilotis tout en cèdre qui va devenir le Venise local, ou direct vers la frontière la plus proche à Chile Chico ? Nous allons chercher des réponses à côté, chez Terra Luna, chez Philippe, Français installé au Chili depuis vingt ans, le patron de la fameuse agence du sud Azimut. Des réponses il en a. Depuis dix ans qu’il vit sur le lac Carrera, il n’est jamais passé par le sud pour l’Argentine. Pas sûr qu’il y ait un bac tout au bout pour passer du Chili en Argentine à travers le dernier lac. Le bac qui permet de traverser pour aller jusqu’à Villa O’higgins n’a que trois places pour les voitures. Le suivant, personne ici ne sait s’il existe. Caleta Tortel, c’est pas mal. Mais le truc à faire c’est voler au dessus du Campo de Hielo, le champ de glace. Il nous arrange le coup pour demain matin. Pour le permis de passage du 4X4 en Argentine, qui devrait arriver de Santiago, il a aussi un plan pour l’acheminer jusqu’ici. C’est une mine Philippe.
La phrase du jour : "Ho ! wahou !" Garance (dans les capillas de marmol).

Lundi 05 janvier 2004 : le campo de hielo norte attraction mondiale.
GMTFr : -4H 46° sud 73° ouest météo : nuageux puis éclaircie.

Le vol 10 heures doit être confirmé à 9 heures. Trop de nuages. Nous prenons un nouveau rendez-vous pour 13 heures. Sous le soleil, sur la pelouse de notre maison en bois, devant le lac Carrera, nous faisons une partie de petits chevaux. Avec Julia et Félix, nous ne souvenons pas d’en avoir finie une un jour, mais là n’est pas la question. Nous suivons le précepte bouddhiste qui dit que rien n’est plus serein que de jouer avec des enfants. Quand Maud joue pour Julia et Chris pour Félix, la partie s’arrête. Dès midi, il est évident que les nuages sont toujours là. Un peu dépités nous prévoyons, sans y croire, un vol vers cinq heures. En attendant, ou plutôt pour ne pas attendre en ne faisant rien nous décidons rapidement d’aller déjeuner à Puerto Bertrand. Trente kilomètres, presque quarante, ici, ça prend une demi-heure. Nous mangeons dans un lodge de pêche à la mouche. Nous retiendrons de Puerto Bertrand que c’est minuscule et loin de tout et une mémorable partie de loup glacé pour les enfants et Maud. Nous avons du mal à attendre, plantés ici en attendant le permis de sortie du territoire du 4X4, alors que par les temps qui courent, nous aimerions courir, justement. Sur le chemin du retour, ça a l’air de se dégager. Ca se dégage. Nous allons essayer de voler. Les parents y vont mais les enfants restent, faute de place dans l’avion et de motivation de la maman.
Notre pilote s’appelle Willy, il est Chilien. Père Irlandais, mère Espagnole, menton carré de pilote. Il est fier de ses origines 100% européennes, de sa nationalité chilienne et de sa Patagonie natale. L’avion est un superbe bimoteur blanc à bandes noires et rouges. Les sièges en cuir rouge à l’intérieur donnent l’impression de monter dans une Chevrolet Corvette des années soixante. A peine le temps de décoller, un petit tour, nous atterrissons. La porte était mal fermée. Choupie inspire un grand coup. Nous redécollons. Nous montons face à la montagne enneigée devant nous. Le spectacle est déjà très beau. Plus nous montons, plus c’est beau. Nous sommes rapidement au niveau des plus hauts sommets de la région. Pic enneigés, glaciers à droite, glaciers à gauche, un lac marron, un autre vert, un autre encore, bleu. Nous avons du mal à tout voir. Choupie prend des photos. Chris filme ce qu’il peut entre deux sauts de l’avion. Somptueux. Nous arrivons au dessus du Campo de Hielo Norte, le champ de glace nord. Quarante cinq kilomètres de large, cent quarante de long. Unique au monde, à part le Campo de Hielo Sur un peu plus au sud, au Chili aussi. Pour Choupie et Chris, un des plus beaux endroits qu’ils aient vus au monde (le tour n’est pas fini !). En bas, trois glaciers, un bleu, un vert, un blanc, Los Leones (Les Lions), se rejoignent pour se jeter dans un lac. La météo est parfaite. Ciel bleu plus nuages pour avoir des ombres et plus de relief. « Vous voulez faire le tour ou vous préférez aller jusqu’à la laguna San Rafael ? Mais c’est un peu plus de dollars…». Tu parles, c’est du tout cuit pour Willy. Personne ne peut résister. Nous ne résistons pas une seconde.
Ambiance survoltée dans l’avion. Un bruit d’enfer à cause des deux moteurs. Excitation due à la beauté fantastique du lieu et à l’altitude. Décharge d’adrénaline dans les virages sur une aile et évacuation du stress accumulé ces derniers jours. Willy s’éclate. Il la joue half-track (acrobaties en surf des neiges dans un demi cylindre). Ca secoue les tripes des passagers genre manège à la foire du Trône. Passage sur une aile pour apercevoir un champs de petites mares de glace bleue roi coincées au milieu des pics de glace. Passage sur une autre aile pour voir l’étendue blanche infinie du champ de glace. Zigzag entre les deux parois qui encadrent le glacier San Rafael. Nous revoilà là où nous avait amenés le Skorpios en une semaine, mais en arrivant par la source du glacier et au dessus. Ca valait vraiment la peine. Rase motte au dessus d’un zodiac. Aussi bas, ça défile le paysage et les petits icebergs. Choupie s’accroche, Chris pousse quelques cris de joie nerveuse. Nous reprenons un peu d’altitude et revoyons la lagune tout entière, son entrée par le passage Elefantes et au fond le Golfo de Penas (Le Golfe des Peines) qui s’ouvre sur le Pacifique. Ca nous donne quelques secondes de répit avant le retour.
Passage de front face au glacier San Rafael. Nous remontons le Campo de Hielo vers le mont San Valentin, le sommet le plus haut de Patagonie. Plus de 4000. Willy nous regarde hilare. Les nuages sont superbes. Nous passons à côté des parois rocheuses. Willy se retourne, il fait ce qu’il peut mais entre les sommets, le soleil et la glace, ça crée des turbulences. Il n’y peut rien malheureusement. Tu rigoles ! En bas des glaciers de toutes les couleurs, dont un complètement marron recouvert par les éboulements de la montagne. Juste sa langue verte qu’on aperçoit se jeter dans son lac. Un lac gris anthracite. Un autre qui s’appelle le lac de plomb. Nous revoilà pratiquement au dessus de notre auberge de midi. Vol en rase motte au dessus de la route et nous déboulons au dessus de notre cabana pendant un énorme virage sur l’aile. Les enfants et Maud sortent en courant pour nous dire coucou. Retour à la base. Merci Willy. Ouf.
Le retour en 4X4 se fait à très très petite allure. Nous avons les réponses aux questions de ces derniers jours. Ca valait la peine de faire le tour du monde. Ca change notre vision de la Patagonie, moins austère et moins dure. Elle peut aussi être magnifique et spectaculaire, apporter de l’énergie au lieu d’en consommer. Nous repartirons marqués. Nous avons compris une chose, c’est qu’ici il faut tailler sa propre route. Pas de place pour les touristes. Il faut se transformer rapidement en voyageur, ou bien partir. Loin de chez nous, sans téléphone, sans internet, sans télévision ni journaux, nous aurons souffert de l’isolement à un moment difficile du voyage. Tout est compliqué, tout prend beaucoup de temps. Nous sommes loin de l’efficacité de la société de consommation. Nous aurions pu rester six mois en Californie, sans que cela ne change notre façon de voir les choses, au contraire. Ici, c’était accéléré, comme formation.
Dîner très bonne soupe de légumes et discussion avec Andreas au restaurant des cabanas. Pour chaque enfant né dans la région, le gouvernement donnait 800 hectares. Une route sud construite par la dictature pour faire la guerre avec l’Argentine toute proche et qui permet de développer le tourisme. Quatre-vingt mille Patagons perdus dans le sud, laissés pour compte du pouvoir central de Santiago, six millions d’habitants. Des gauchos armés de couteaux et de revolvers, dont la culture s’arrête à selle de leur cheval, dont les enfants habitent des poblaciones (maisons de 30 mètres carrés construites par l’état) et pour lesquels passer trois ans en prison pour coups de couteaux et blessures fait encore partie de la formation… Une industrie du tourisme totalement entre les mains d’étrangers, qui alimentent en argent frais des paysans en leur achetant petit à petit leurs terres à prix d’or. Des enfants Patagons qui vont à l’école jusqu’au bac, qui ne veulent plus ensuite retourner aux champs, mais qui n’ont aucun accès à une formation supérieure. L’hiver, des camions qui passent, les paysans qui remplissent leurs bennes avec plusieurs milliers de lièvres, destination France. Il paraît qu’ils ont introduit des faisans qui vont produire bientôt. Les Américains pêcheurs à la mouche ont déjà repoussé la frontière. Ils ne viennent plus dans le coin. Ils vont plus au sud, à la fin de la route, vers Villa O’Higgins, ou bien en Russie. Un nouvel Eldorado pour la truite et ses moucheurs. Notre prochain voyage ?
Pendant la discussion, Félix, qui s’adapte vite à la culture « gauchista », se paye un petit aller retour vers notre cabana, en pleine nature. Plus personne ne sait où il est. Ca ne l’impressionne pas plus que ça. Choupie et Chris continuent à mettre les matelas de leurs chambre au milieu du salon, les pieds au coins du poêle à bois, la tête devant la chambre des enfants.
La phrase du jour : "Pero aqui es mi tierra" (Mais ma terre c’est ici). Willy, pilote d’avion Patagon.

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