Journal de bord
POLYNESIE
FAKARAVA – TUAMOTU (tua = large, motu = île)
Février / Mars 2004

GMTFr = heure locale au méridien de Clermont-Ferrand.
-11H => 12H (midi) à Clermont-Ferrand = 01 Heures du matin à Tahiti

Vendredi 27 février 2004 : la course à la dorade.
GMTFr : -11H 18° sud 145° ouest météo : grand soleil
La matinée s’étire en langueur. Soleil tropical. La famille se repose à l’ombre du soleil d’hier. Quelques informations complémentaires auprès de Laurent qui a appelé, ne pas manquer la pêche au harpon s’il est possible d’y aller ; auprès de Serge et de sa femme, qui tiennent le club de pongée, passer le premier niveau rapide pour pouvoir au moins aller se balader la conscience des moniteurs de plongée tranquille. Tout un programme. Nous n’aurons pas le temps de tout faire car demain pic-nique sur un motu (îlot de corail). Avec le soleil qui va nous taper sur la tête jusqu’à trois ou quatre heures de l’après-midi alors qu’il se couche vers 18h30, inutile de penser faire quoi que ce soit après être rentré. Ensuite c’est dimanche, jour du seigneur et du retour vers Tahiti pour récupérer Annie et Lili, certainement fatiguées, bien blanches, remontées contre les Français.
Le premier niveau de plongée attendra, sur les conseils de l’ami, priorité à l’inoubliable. Si la pompe qui alimente l’osmoseur de l’hôtel est réparée d’ici là et libère Auguste, chef maintenance maître pêcheur. Si la pompe est trop récalcitrante, pas de pêche au harpon, si elle ne laisse aucun espoir de réparation rapide, pas d’eau douce pour la douche. Chris préfère largement la deuxième solution à la première. Les Tuamotu sans eau douce ou sans pêche, il n’y a pas photo.
La pompe arrivée avec retard, après une heure de boulot, il est clair qu’elle ne fonctionnera pas. Pas la peine de s’énerver ni de s’évertuer. Super, à la pêche. Nous sommes les maudits des pompes à eau depuis le Beagle des Galápagos et ses trois ou quatre changements. Auguste laisse la pompe et revient peu après avec son bateau, sorte de petite cigarette en contre-plaqué, peinte en blanc avec parements et anti-dérapant rouges. Bateau étroit et pointu de six mètres, poste de pilotage dans une fosse aménagée dans le petit pont avant, canne de pêche au gros plantée à côté du capitaine, moteur Johnson blanc de 110 chevaux. Tiens, un moteur Johnson ? Jusqu’ici tous ceux qui n’étaient pas des Enduro Yamaha étaient des Mariner. On croyait que Evinrude et Johnson avaient disparu, obligés de rebaptiser la libellule de Bernard et Bianca (on a beau être en plein tour du monde, on n’en révise par moins ses classiques…).
Le plus vite possible vers la sortie, passe nord, la dorade coryphène se pêche au large, à l’extérieur de l’atoll. Pour tous les pêcheurs c’est comme ça, quand ils partent pêcher, ils sont toujours pressés d’y être. Avec la petite fusée, le gros moteur derrière, nous y serons rapidement. Pas vraiment un concept à la Eliot (cap Horn), Teariki, le bateau d’Auguste, mais ici, personne n’est assez fou pour sortir quand il y a plus de 20 ou 25 nœuds de vent. Pourquoi faire ? Dehors petite houle de nord-est coupée par un clapot d’est. De quoi bien se faire secouer sur notre coquille de noix contre-plaquée ultra-légère. Choupie s’accroche comme elle peu, incrédule. Qu’est-ce qu’on fait ? On cherche des dorades coryphènes (gros poissons de pleine eau, longs, plats avec une bosse sur le tête et des couleurs magnifiques, ici ils les appellent Mahi-Mahi). Comment on les trouve ? En regardant le vol des oiseaux. Là ils y a des oiseaux. Non, pas ceux-là, des oiseaux qui ont un vol particulier, ceux-là ne font que passer. Ha ! Et après ? Après on regarde la mer sous les oiseaux, on voit la couleur de la dorade dans l’eau, on la course avec le bateau et on envoie le harpon à la main dessus. Tu rigoles ! Non, non, pas du tout. Tiens, voilà des oiseaux qui pêchent. Auguste fonce dessus. Nous tournons autour des oiseaux. Rien. Toujours pareil la pêche, une longue attente, un espoir et souvent rien. Choupie y croit de moins en moins. Nous sortons les Rapalas (leurres) et commençons à pêcher à la traîne. Ca semble plus conforme à Choupie. Et l’inspection de la mer recommence. Couple d’oiseaux au loin, ils patrouillent, fous de passage qui venaient voir au dessus du bateau si nous étions sur un bon coup et rien. Des vagues dans tous les sens, le bateau qui bouchonne, le Pacifique tranquille et la pêche dans sa splendide lenteur incertaine. Auguste accélère, ralentit, tourne, face à la vague, de travers, ralentit encore plus. Choupie se demande bien ce qu’elle est venue faire là. La traîne suit comme elle peut. Mais au moins c’est beau, surtout Chris trouve ça beau, Choupie a du mal à se concentrer sur autre chose que son équilibre. Il faut dire qu’avec le choix entre assise à l’arrière à côté du moteur sur une planche peinte trempée, ou debout derrière le pilote accrochée à l’unique poignée, en bois, du bateau, c’est dur de choisir. Encore un oiseau prometteur, mais bon, les promesses de pauvres pêcheurs…
Auguste fonce direct dessus. Le sens des vagues ou le confort ce sera pour une autre fois. Accroche toi, la course a démarré. Tu vois la dorade ? Nous ne voyons strictement rien. Ca tourne. A fond. Bateau couché d’un côté, qui ralentit violemment pour repartir encore plus fort. A droite une torpille vert et jaune est passée en trombe. Demi-tour, accélérateur à fond. La dorade est devant nous. Le harpon dans la main d’Auguste. Nous la perdons de vue, elle a dû plonger. Fini. Un petit rush, Choupie n’en revient pas. Enorme poisson, que nous avons trouvé au milieu de la mer en suivant les oiseaux et que nous avons failli attraper avec le harpon. Mais comment fait Auguste pour tout faire tout seul dans son trou ? Il n’y a pas de barre, ou plutôt il y a une vraie barre, un manche vertical en métal, genre avion, on bascule d’un côté, le bateau vire à toute vitesse, une seule main suffit, la gauche. La main droite est sur la poignée des gaz. Le harpon est sous le bras droit, prêt à servir. Nous remontons la traîne. Voilà la femelle.
Elle est bleue pétrole fluo. L’arrête dorsale sort un peu de l’eau, le bout de la queue aussi. La femelle est plus petite, un peu moins rapide et moins puissante mais beaucoup plus mobile. Elle change de direction bien plus vite que le bateau. Nous commençons à comprendre l’intérêt d’un bateau aussi atypique. A fond. Barre à droite, à gauche, à droite, moteur au ralenti, harpon, pile dedans. La dorade est au bout du harpon. Incroyable. Chris la remonte. Il tire sur le petit bout noir de quatre ou cinq mètres à peine, ça brûle les doigts, trop fort, le dorade s’est détachée. « Tiré trop fort » dit Auguste impassible à Chris qui s’en veut à mort. Il y a mille Mahi-Mahi qui les séparent en plus de la Méditerranée, l’Atlantique et d’une moitié de Pacifique. Une éternité de pêcheur.
L ‘attente est longue. Plus beaucoup d’oiseaux indicateurs, uniquement des patrouilleurs. S’il était Indien, Auguste s’appellerait œil de lynx. Il fait tourner le bateau, c’est seulement une fois partis dans une direction que nous apercevons droit devant au loin des oiseaux. Nous savons maintenant que c’est possible mais pas de poisson à bord. Deux obus marrons avec une tâche rouge traversent dans le creux d’une vague. Personne ne sait ce que c’est. Impossible à chasser au harpon en tout cas. Il n’y a plus de leurre dans l’eau, maintenant c’est du pur harpon. Mais il n’est pas certain que nous revoyions des dorades aujourd’hui. Nous allons plus au large, dans le sens de la mer, avec le soleil dans les yeux, difficile de voir. Un petit pétrel noir pourrait bien survoler une dorade. Coup d’accélérateur, c’est reparti. Cette fois-ci nous voyons bien la dorade, largement après Auguste mais beaucoup plus tôt que la fois précédente. Un mâle. Même rodéo. Nous perdons parfois la dorade de vue quelques secondes puis nous la localisons de nouveau à quelques mètres. Pour lancer le harpon, il faut être vraiment tout près, deux peut-être trois mètres, pas plus. Deux mètres cinquante de long, huit centimètres de diamètre, en bois dur bien poli, terminé par un cône renversé formé de cinq piques très solides de trente centimètres chacune avec ardillon plus une pointe sèche au centre, le harpon est trop lourd pour être lancé loin. On blesserait l’animal sans pouvoir le remonter à bord. Une fois piquée, c’est le poids du harpon qui stoppe la dorade. Le petit bout noir ne sert qu’à tenir et remonter, pas à donner du fil comme à la pêche à la canne. Auguste a bien positionné le bateau le long de la dorade qui fatigue un peu. Coup de harpon. Dans l’eau. Trop bas. Nous repartons en trombe. Le pétrel est à cinquante mètres déjà. Nous fonçons dessous. Un tour de repérage, là dorade est là. Gaz au ralenti, harpon, bingo ! En plein dedans. C’est Choupie qui remonte. Doucement ! Et voilà la dorade dans l’eau au bord du bateau avec ses magnifiques couleurs. Verts sombre et jaune d’or, les nageoires pectorales bien écartées. Magnifique. Hors de l’eau on peut voir les tâches noires et bleu électrique, l’œil rond et surtout la forme étonnante de la tête avec sa drôle de bosse. Choupie n’en revient pas de cet animal impressionnant et beau dans le fond du bateau, attrapé de façon aussi sauvage. Et nous repartons.
L’attente est longue, pour ici... Nous remettons la traîne dans l’eau, ce qui n’est pas très bon signe pour le harpon. Nous remontons toute la mer que nous avons descendue pendant la chasse précédente. Pas vraiment le confort Pullmann. Choupie va avoir des bleus partout, mais ce n’est pas son problème pour l’instant, toute à la course à la dorade. Nous sommes maintenant plus haut que la sortie de la passe deux heures plus tôt. Auguste regarde sa montre et nous demande à quelle heure nous voulons rentrer. Quand il veut, ça dépend de la pêche, s’il pense qu’il est trop tard pour les dorades nous rentrons, sinon nous continuons un peu. Il est un peu tard. Mais nous continuons. L’instinct du pêcheur. Nous croisons un autre bateau mais qui pêche à la traîne uniquement. Avec sa cabine impensable la course. A peine un coup d’œil au cas où, nous continuons notre route. De nouveaux oiseaux et des dorades. Plusieurs. Des femelles. La traque commence. Dans l’eau, les femelles sont d’un bleu électrique uniforme superbe. A toi dis Auguste à Chris. Le voilà avec le harpon dans la main. Plutôt lourd. Accroché avec la main gauche à la poignée, il vaut mieux avoir l’habitude du bateau pour ne pas finir à l’eau au coin du premier virement. Choupie est jambes écartées, genoux un peu fléchis, dos penché en avant, mains cramponnées à la poignée. La dorade arrive, bien placée sur le côté droit du bateau, à deux mètres. Pan, derrière, dans la queue. Touchée mais partie. Remonte vite le harpon, ne perd pas la dorade. Elle est là. Nouvelle chance. Nous arrivons de nouveau sur elle. Plouf. Trop bas. Remonte vite. Où est-elle ? Là ! C’est Choupie qui l’a vue. Nouveau jet. Encore dans l’eau. Et la dorade plonge. Auguste essaie de la localiser. Chris réfléchit. C’est comme un javelot. Pas besoin de compliquer. Lancer comme un javelot. La dernière fois qu’il en a lancé un c’était en terminale, il y a près de vingt cinq ans. Surtout se calmer et être plus concentré, laisser l’excitation de côté et viser. Où faut il viser ? Devant, au dessus ? En plein dedans, si tu peux vers la tête, c’est le conseil d’Auguste. Comment on tient le harpon. Comme tu veux, comme tu te sens bien. Ils ne se compliquent pas la vie inutilement ici ! Revoilà des Mai-Mai.
Rodéo. Maintenant nous commençons à connaître. Auguste, toujours au top, présente la dorade bleue sur la droite, plus facile pour le harpon. Calme, concentré, le harpon bien équilibré. Pan, en plein dedans. La dorade ne bronche pas et part vers le fond, mais le poids du harpon la retient. Nous la remontons doucement, la lumière bleue intense se rapproche, monte dans le bateau. Magnifique. Chris est très excité, Choupie aussi. Cris de joie, film de la bête et des pêcheurs radieux, de ce qui peut être filmé dans la houle et uniquement quand le bateau est à l’arrêt. Merci Auguste, incroyable. Nous n’imaginions pas que nous pourrions en attraper une nous-mêmes. Bon, nous sommes loin de pouvoir tout faire, la trouver, la courser avec le bateau, mais la harponner, c’est déjà un début. Dans la course, la casquette de Chris, fabriquée en Chine, achetée à Sedona, Arizona, à l’occasion d’un survol du Grand Cayon il y a un an et demi (bonjour les Lacombe’s), est partie à l’eau. Dommage, mais échange volontiers femme de quarante ans contre deux femmes de vingt ans et casquette Chino-Américaine contre Mai-Mai polynésien.
Nous avons maintenant deux dorades dans le bateau et le poulpe en plastic qui traîne derrière. Le mâle mesure un mètre cinquante pour douze à quinze kilos, la femelle un mètre vingt pour dix à douze kilos. Mais Auguste a localisé un autre animal. Il fonce dessus. Chris saisit le harpon. Non, pas le harpon, on laisse la cane là. Ha bon ? Pourquoi ? Le Mai-Mai a déjà mordu, le fil déroule à toute vitesse. Il faut remonter. C’est très dur à ramener. Le Mai-Mai a beaucoup de force et avec sa forme particulière il résiste énormément dans l’eau. A cinquante mètres du bateau, il fait un bond en l’air. Superbe. C’est un gros mâle. Il a sorti la moitié du corps de l’eau. Attention à ne pas se faire couper le fil ou qu’il se décroche. Nouveau bond à une dizaine de mètres de nous. Magnifique. Le Mai-Mai tourne sous le bateau, jetant ses dernières forces pour éviter de remonter vers la surface. Auguste l’assure d’un coup de harpon. Le voilà dans le bateau. La même taille que le premier mâle exactement. Toujours aussi beau.
La femelle n’est pas loin. Là ! Maintenant nous sommes trois à pouvoir les localiser. Souvent Choupie ou Chris la voient avant Auguste qui doit aussi s’occuper du bateau. A fond. Bleue. Belle. La partie supérieure de la queue sort de l’eau, parfois c’est l’épine dorsale, parfois les deux. La Mahi-Mahi laisse un petit sillage fin caractéristique dans le creux lisse des vagues, comme un minuscule sillage de surf. Car le Mahi-Mahi ne vient en surface que s’il y a des vagues, sinon, il reste un peu plus profond et impossible alors de le chasser au harpon. Donc, le shaker est garanti à chaque course, ce qui rajoute au charme. La voilà. Elle fonce droit sur nous puis vire sous le bateau, tellement près qu’impossible de la harponner là où elle est passée. Nouveau passage, changements de cap serrés de la torpille bleu, Auguste ne la perd pas du bout de sa fusée à lui. La voilà. Harpon ! En plein dans le mile. Du premier coup. Nous voilà avec quatre Mai-Mai, deux mâles et deux femelles. La chance des débutants. Une pêche totalement miraculeuse et une technique incroyable. Les anciens se baladaient au large en pirogue à voile, les Mahi-Mahi viennent près des bouts de bois flottants… c’est comme ça que tout à commencé.
Nous prenons le chemin de la passe nord. Incrédules. Choupie cogne son genou sur un coin du bateau. Sous le choc, la douleur ou l’énervement, elle perd pratiquement connaissance, obligée de s’allonger au fond du bateau, pieds en l’air. Ca va mieux. Cette course à la dorade c’est une vraie attraction mondiale, référencée dans aucun guide. Nous avons aussi l’impression d’avoir accompli un acte sauvage. En lisant ça nos enfants ou petits enfants nous considérerons comme des inconscients, certains vont nous considérer comme tels dès maintenant... Il y a certainement des choses à faire, changer les pointes du harpon contre des sortes de banderilles pour être sûr d’avoir tagué le poisson, sans lui faire mal, une sorte de catch&release du harpon, mettre le poste de pilotage au centre du bateau et laisser le puit avant au harponneur seul… Ne restera plus que le problème de l’essence nécessaire à ce genre de sport de riche. Mais quelqu’un trouvera certainement. Peut-être qu’un jour on amènera des puristes en pirogue à voile, pendant plusieurs jours au milieu du Pacifique, pour taguer des dorades pacifiquement ? De quoi être célèbre dans le monde entier en tous cas, une fois les problèmes d’assurance réglés. Car on nous a bien prévenus, c’est le bateau du pêcheur, rien à voir avec l’hôtel, c’est à vos propres risques. De quoi tenir les Américains à l’écart de ce petit paradis encore un bout de temps. Choupie perd sa casquette dans le vent du retour. Demi-tour mais nous ne la retrouverons jamais. Une casquette des Galápagos qui a voyagé un peu vers l’est après un tour d’Amérique Latine.
Le plaisir continue avec le retour à plus de trente nœuds dans le clapot. Photos sur le ponton, comme sur les vieux tirages noir et blanc des bars de bout du monde au fond des ports. Nettoyage du poisson. En cuisine, Antoine prépare une femelle, en filets. Très intéressant, un peu comme au Japonais sushi, alors qu’aux Antilles on la coupe en darnes. Grâce à la gentillesse d’Antoine, ce soir au menu, Mahi-Mahi poêlé avec au choix réduction balsamique ou sauce coco. Convivial et sympa comme dans une pension de famille, dans un hôtel de luxe.
Auguste a un nom maori. Tumoana. « Lagon Bleu » en français. TEV (Tout Est Vrai) dans le jdb. Ca lui va bien non ?
Le poisson du jour : quatre Mahi-Mahi, deux mâles, deux femelles, 50 kg au total.

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