Journal de bord
POLYNESIE
FAKARAVA – TUAMOTU (tua = large, motu = île)
Février 2004

GMTFr = heure locale au méridien de Clermont-Ferrand.
-11H => 12H (midi) à Clermont-Ferrand = 01 Heures du matin à Tahiti

Samedi 28 février 2004 : Topikite, notre motu.
GMTFr : -11H 18° sud 145° ouest météo : grand soleil
La vitesse c’est grisant. Julia et Félix debout sur la glacière, le visage qui dépasse du par-brise pour la grande sœur, juste les yeux pour le petit-grand frère, selon qui le regarde. Schuss au ski, à moto sans casque, à vélo dans les descentes d’été, en cabriolet Alfa-Romeo, sur le bateau de parrain qui fonce, la tête sortie par le toit ouvrant du 4X4 dans le désert, voilà ce qui les attend. Les cheveux en bataille pas rangée, grand sourire, les yeux qui pleurent un peu, la vitesse chaude ou froide, c’est grisant.
Les journées parfaites s’enfilent comme les perles sombres de Fakarava et de son lagon profond. Ici, le cap, dès qu’on est sorti des champs d’huîtres perlières, c’est toujours tout droit. Et pourtant, pas le temps de s’ennuyer sur le speed-boat. Il y a toujours quelque chose à voir. Les motus tombés du ciel qui font leur archipel de corail et de cocotiers, à travers lequel Jeoffey frôle les patates sur fond vert émeraude pour le plaisir du voyageur. L’île aux oiseaux où nous retrouvons nos amis les fous, une colonie de frégates survolée par des mâles à gorge rouge. Les écueils à quelques centimètres sous l’eau et leur festival de couleurs et de dégradés du marron au turquoise. Encore quelques miles et nous arrivons à Topikite, tout près de la barrière ouest de l’atoll.
Comme dans les reportages où le chef photo est excellent. Seuls, pas les premiers mais un goût de cela, sur un bout de corail perdu. Un petit courant forme le sable et multiplie les tons de bleu dans un trou d’eau de trois mètres de profondeur à quelques mètres du bord, véritable gouffre au milieu d’une immensité où l’eau limpide ne dépasse pas le genou. De l’ombre. Rien à faire. Profiter du moment, du motu. JFG sont ravis, avec le copain Alexandre qui trouve sa place. Un tour de l’île qui s’arrête avec le sable, même sur un motu du lagon, il y a une côte sauvage. Provision de couleurs et de photos. Mahi-Mahi au barbecue pour le déjeuner. Il en restait d’hier !
Un petit requin pointe noire se pointe pour rafler les reliefs de poisson cru de notre vaisselle lagoneuse. Ca intéresse toute notre troupe. Surtout quand le second arrive suivi du troisième un peu plus petit. Pas agressifs mais curieux. Jeoffrey entre dans l’eau avec deux morceaux de Mahi-Mahi pour un wild shark feeding, certes de requins petits, mais pas de requins apprivoisés… Ils tournent mais n’approchent pas à plus de deux mètres et s’en vont. Pas trop loin. retrouver leurs potes. Maintenant nous avons une petite troupe de six requins pointes noires de 80 centimètres à 1,20 mètre de long, qui tournent autour du bateau. Jeoff essaie de les attirer. Julia et Félix l’ont déjà rejoint, de l’eau jusqu’à la taille ou la poitrine. Alexandre ne tarde pas. Deux nouveaux requins sont arrivés. Tous se relaient pour un tour de plus en plus rapproché, les petits devant, plus téméraires, comme toujours. Et voilà le spectacle de nous tous dans l’eau, essayant de faire approcher au plus près les petits pointes noires craintifs. Le monde à l’envers. Ils sont sauvages et ne franchissent pas la barrière du grand danger pour eux, tant mieux. Ils repartent cruser pas loin dans le lagon.
Vahine, la nounou d’Alexandre, a repéré un poisson au bout de notre banc de corail. C’est à vingt mètres. Jeoff et Chris regardent, un mérou, non, une carangue bleue, elle paraît noire dans l’eau. Jeoff fonce chercher son fusil et son masque. Pas de palme, ni de tuba. Pas le temps. Il se met à l’eau, dans le courant de notre petit cap. La carangue sort du trou bleu et s’approche, les requins aussi. Au deuxième tour elle s’attarde, Jeoff tire et la pique. Il sort en courant en arrachant la carangue de l’eau à toute vitesse, avant qu’elle ne finisse dans le ventre d’un pointes noires. Une belle carangue bleue de trois kilos dans cinquante centimètres d’eau au nez et à la barbe des requins. Opportuniste le Jeoff. Et maintenant, nous savons pourquoi les flèches de fusils sous-marins sont appelées Tahitiennes.
Le retour est aussi beau que l’aller. Les couleurs ne sont pas racontables. Désolé, il faudra venir.
Le poisson du jour : huit petits requins pointes noires dans le lagon et une carangue bleue au four.

POISSONS
« Celui-là il est vraiment magnifique. »
« J’en ai vu un qui a les yeux bleus. »
« C’est extraordinaire vraiment. »
« Tu as vu celui-là comme il est beau ? »
« Et celui-là, comment il s’appelle ? »
« Alors, des chirurgiens, il y en a de toutes les couleurs ! »
« Très intéressant vraiment ! »
« J’ai vu une murène méchante mais elle était morte. »
« J’ai vu deux requins. »
« Tu as peur des requins ? » « Non, pas du tout. »
« Tu as peur des requins ? » « Non, ici ils sont gentils. »
« J’ai vu un requin dormeur et puis un requin pointes noires sous le ponton. »
« Un bernard-l’hermite avec des pattes bleues. Je ne connais pas quelque chose de plus rare que ça. »
 

Dimanche 29 février 2004 : Perles noires, bonites argentées.
GMTFr : -11H 18° sud 145° ouest météo : soleil voilé
Le groupe de la famille, vers les perles, le groupe Chris, seul avec Tumoana, alias Auguste vers le large. Félix est virtuellement rattaché au groupe pêche, mais va voir les perles pour raisons de sécurité. Julia serait bien venue aussi. Maud et Garance n’auraient manqué les perles pour rien au monde, encore moins pour des poissons.
Nous partons donc visiter la ferme perlière « Hinano ». C’est comme la mine de pierres précieuses en Argentine, très très artisanal. Madame Hinano vient nous chercher en 4x4 et nous amène sur le bord du lagon. Nous accédons à un petit ponton en passant entre les tas d’huîtres perlières ouvertes dont la nacre brille au soleil. La propriétaire remonte une huître d’un casier, l’ouvre et apparaît une belle perle grise. Les enfants sont enchantés et la gardent. Puis nous allons au « magasin », sorte de paillote qui ne paye pas de mine. Un allemand torse nu parlant bien le français nous explique les qualités, A, B, C et D. La qualité est surtout déterminée par la présence des défauts et leur répartition sur la surface de la perle. Si un perle a un groupe de défaut au même endroit elle sera parfaite habilement montée. Le plus étonnant c’est les couleurs : du doré « champagne » au gris anthracite en passant par les vertes, les bleues, les roses, les aubergines. La couleur comme le lustre dépendent de l’environnement naturel et du travail de la greffe. Pour une belle perle il faut un lagon calme (pas de jet skis), avec une eau pure (de grandes passes avec l’océan) et une certaine profondeur. Voilà pourquoi les perles des tuamotu sont aujourd’hui considérées comme le top : le lagon de Fakarava est immense et complètement sauvage. Le travail de greffe est aussi fondamental : le greffeur introduit dans l’huître une inclusion (petite sphère plastique) et une greffe de nacre prélevée sur une huître dont la couleur est particulièrement belle. Ensuite la perle reste sous l’eau au moins 18 mois (c’est la loi pour que la qualité de la nacre soit bonne). Dans certains cas la perle est réintroduite dans une huître pour obtenir une grosse perle. Les perles sont là, des plus petites aux plus grosses, de celles qui ont des défauts aux plus régulières, les sphériques, les poires, les baroques, toutes magnifiques même aussi mal présentées. Comme la chaleur est écrasante et les moustiques aussi nombreux que les perles et très voraces nous nous décidons très rapidement en sautillant d’un pied à l’autre. Nous faisons un beau marché, une dizaine au total, non montées. Comme en Argentine les prix paraissent dérisoires mais les frais marketing, commerciaux, généraux, … sont ici nuls ! Nous rentrons à l’hôtel avec un gros sac de nacres pour faire des porte-savon et nos perles, tout contents.
Au large, les oiseaux sont nombreux, pas les Mahi-Mahi. Pas assez de vagues, ciel couvert, pas excellent pour le harpon. Tumoana choisit la traîne. Les oiseaux se regroupent, ceux qui volent au dessus de notre leurre font peur au poisson. Ils remontent le courant rapidement, certainement à la même poursuite que les poissons qui poursuivent certainement des calmars. Les oiseaux ne plongent jamais, pas la moindre trace de chasse, pas une touche. Tout le monde pêche, personne n’attrape. « Ils se foutent de not’ gueule » selon Lagon Bleu. Ca ne lui plait guère de « courrrir » comme ça pour rien. La concentration d’oiseaux augmentent de plus en plus, avec énormément de fous, un peu différents de ceux des Galápagos, mouettes et puffins au milieu. Nous suivons leur vol jusqu’à ce que tout le monde se pose. Pas la peine de brûler de l’énergie pour rien. Pour nous, point mort au milieu des oiseaux qui attendent. Quoi ? Puis tout l’équipage repart. Encore plus vite, mais avec un cap différent. Et ça commence, les fous plongent les uns derrière les autres, nous fonçons au milieu, ralenti, à peine quelques secondes et le fil part vers le fond à toute vitesse. Une bonite. Un obus pointu et raide qui pèse tout ce qu’il peut à l’opposé de la surface qui le tire. Nous le remontons à la canne. Une deuxième, une troisième, une quatrième, les thons et les bonites, quand on est au milieu, ça pêche. Deux coups sur la tête quand elles montent sur le pont. Elles s’alignent dans le grand bac plastic par tranches de 8 à 10 kilos, bien calibrées comme des poissons pélagiques peu habitués aux filets d’élevage. Dommage que Chris n’ait pas amené de gants, Tumoana lui aurait fait tester la remontée de bonite à mains nues, à la palangrotte. Le cassage de main, c’est pour une autre fois. Et ça s’arrête. Les oiseaux volent plus loin, l’hystérie collective, poissons, oiseaux, hommes est finie. Il faut attendre le prochain coup de folie.
Nous attendons peu. Nouvelle excitation, plongeons des fous de toutes parts, avant même d’arriver dans le cercle, le fil déroule. Une bonite, puis une autre qui ne plonge pas comme le font toutes les bonites du monde mais tire à la surface de l’eau. « Il doit y avoir un grrros dessous ». Un gros capable de gober une bonite de 10 kilos. Tumoana attrape une nouvelle fois le nylon sans gant et lance la bonite à l’intérieur du bateau. Ca nous en fait six. « Il y a suffisamment de poisson ». Tumoana a raison, sagesse polynésienne. Soit nous rentrons, soit nous cherchons des dorades. Pour le plaisir partagé d’être en mer, dorades. La mer est de plus en plus calme, le ciel de plus en plus voilé, les Mahi mahi risquent d’être absentes. Nous crusons sans forcer dans le travers d’une grosse houle du Pacifique qui fait disparaître Fakarava puis le Motu d’en face. En rentrant, sans trop y croire mais avec la foi et l’expérience du pêcheur qui sait que tout arrive, nous mettons un poulpe en plastic à gros œil pour tenter un éventuel espadon de passage. Mais d’espadon ou de marlin, point. Au ponton, les bouts du bateau aussi sont rouges, comme les enjoliveurs et le sang des bonites…
Juste à temps pour le déjeuner de la famille recomposée après cette longue séparation. Super Antoine service plus, nous prépare en direct live un sashimi et un tartare de bonite fraîche. Trop fraîche selon Tumoana. Antoine est d’accord, tous les gros poissons méritent d’attendre 24 heures pour laisser reposer la chair. A voir le kilo de sashimi polynésien (carpaccio) que se prépare Tumoana, difficile d’imaginer la ration quand le poisson est à son top.
Au bar, Tumoana et Chris parlent pêche et harpons, bateaux transformés pour mettre le chasseur dans le trou de devant et le pilote au centre du bateau. Il est question de changer le harpon traditionnel contre une pointe qui permettent de tagger la dorade sans l’abîmer avec fil et petit drapeau sur flotteur pour bien valider la « prise », sans épuiser la ressource. Le nom complet d’Auguste, en Maori, c’est Teariki (comme son bateau) Tumoana. Teariki, le Roi, Tumoana, Lagon Bleu. Les deux ensemble, ça donne le Roi de la Mer. TEV dans le jdb. On ne pouvait pas lui trouver meilleur nom. Et Auguste en tragédie française, c’est la future clémence des harpons taggers ?
Au revoir à tout le monde à l’hôtel, ils étaient déjà devenus notre grande famille. A l’aéroport, Jeoffrey et Chris parlent chasse sous-marine. Profondeur, mérous, carangues rayées, bleues, jaunes, becs de canards… Jeoffrey préconise deux qui chassent au fusil et cinq qui surveillent. Tumoana, un qui chasse et deux qui surveillent. A 25%, près ils sont d’accord. Jeoffrey un peu plus prudent que Tumoana, il faut dire qu’il s’est déjà fait charger par des requins cinq fois. Il est jeune, il lui reste quelques rencontres d’avenir. Mais ici, tout le monde s’est frotté aux requins. Question de limite de territoire. Et personne n’est près à lâcher d’une nageoire de carangue.
Cinq jours à Fakarava, nous avons déjà conscience que cela risque d’être le meilleur de notre séjour polynésien. Merci à Laurent qui nous a concocté un menu de roi, à des tarifs de roturiers. Nous reviendrons voir des Polynésiens libres. Vous aussi, venez . C’est le monde des réponses évidentes, d’ailleurs ici, il n’y a même pas de questions. Nous repartons déjà vers le Beachcomber de Tahiti attendre Annie et Lili qui arrivent demain matin. Deux femmes de plus, ça fera 6 à 2.
Le poisson du jour : six bonites dont une demie en sashimi et tartare.

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