Journal de bord
CAP HORN
56° sud 67° ouest

Sur Eliot, cotre de douze mètres.
22 / 01 / 2004 – 29 / 01 / 2004.
Ushuaia – Cap Horn – Ushuaia.
Propriétaires : Yves et Véronique.
Equipage : Gilbert , Evelyne et Christophe.

NAVIGATION AUSTRALEJour 2. Vendredi 23 janvier 2004. Puerto Williams - Iles Walloston.
Lever six heures avec Véro qui tourne depuis cinq heures du mat. Beau temps. Pas trop de vent. Petit déj rapide avec pain argentin, nous conservons celui acheté au Chili qui se conserve mieux. Pas le temps de terminer sa tasse de thé, nous sommes partis. Ils faut dire que si Yves et Véro attendent tous les blaireaux pour partir, déjà qu’en dix ans ils ne sont pas arrivés à la moitié de leur tour du monde à eux… Et ils n’ont pas vraiment besoin d’aide pour faire avancer leur bateau, ni de compulser la check list. Faudra être un peu plus rapide pour participer, voilà tout. Départ de Puerto Williams, la vile la plus australe du monde, par petit temps du coin, 15 à 20 nœuds de vent. Toute la toile dehors, direction encore plus au sud, dans le matin du canal Beagle, l’île Novarino, Chili, à tribord, la Terre de Feu, Argentine, à bâbord. Il fait bon. Bottes, deux paires de chaussettes dont une froid –15°C Patagonia qui vient de chez « le Vieux Campeur », jogging, jean, pantalon de pluie, en bas, tee shirt, polaire, sweat, parka, en haut, bonnet et capuche de la parka pour la tête.
Et nous descendons le Beagle grand largue. Vent de nord. C’est naturel ici. Et la marée nous tire. Avec elle, 5,5 nœuds à la surface, 7 nœuds sur le fond. Nous passons devant la « vraie » « ville » la plus australe du monde, Puerto Toro, Chili. Quelques miles au sud de Puerto Williams, sept familles qui vivent là à l’année, deux cents pêcheurs sur cinquante bateaux qui viennent s’y reposer pendant la saison du crabe et de la centolla. Ca rapporte, la centolla. Ca suffit pour être une ville plus australe encore que Puerto Williams. Nous passons près de deux rochers couverts de cormorans bicolores. Une petite pyramide de bois de deux mètres de haut, peinte en blanc et rouge se détache sur les rochers recouverts d’algues et de mousses.
Dans le détroit de Mac Kinley, le vent forcit. Yves s’éclate pendant les surfs qui une ou deux fois se transforment en départ au lof. Ca plait moyen à Véro qui veut réduite la toile. Je ne donne pas mon avis. De toutes façons, pour avoir une idée il faut connaître le coin. Yves dit que, dès le cap passé, ça va tomber. Véro insiste. Un dernier départ au lof un peu violent et nous prenons trois ris dans la grand voile. Le bateau est soulagé. Véro aussi. Yves est un peu déçu, mais toujours aussi cool et au fond, philosophe. J’attends de voir. Le cap passé, le vent ne tombe pas. 30/35 nœuds de vent, peut-être un peu plus dans les rafales. La mer commence à être blanche, mais vent arrière, sans grosses houle ou vagues, rien de méchant. Sauf la forme des vagues, qui toutes les cinq ou six, arrivent par deux, pratiquement collées l’une à l’autre. La première pousse le bateau en lui faisant prendre un peu d’angle, la seconde attrape le bateau « dans le mou » et le bouscule, cul en travers. Le cap est passé depuis un mile environ et le vent faiblit. La mer aussi. La baston, ce n’est pas pour tout de suite. Yves regrette ses voiles dehors. Après dix ans passés sur son bateau, il a toujours envie de le faire avancer comme un jeune homme. Depuis ce matin, vent portant, courant favorable, nous gagnons deux nœuds à deux nœuds et demi par rapport à nos cinq nœuds théoriques. Considérable. Nous devrions arriver vers 20 heures au lieu de 22 ou 23 heures à notre fundeadero (mouillage) de ce soir.
Le vent continue à tomber. Phoques, pingouins Magellan, albatros gros sourcils. Ca anime la descente du Beagle. L’île Picton, que les Chiliens ont volé aux Argentins ainsi que deux autres îles de la région, est derrière nous. Nous continuons à longer Navarino sur tribord et laissons Lennox à bâbord. Le déjeuner est très bon. Velouté de courgettes rondes locales, genre tomates à l’ancienne et riz à tout. Nous remettons toutes voiles dehors, lâchons deux ris, tangonons le yankee. Nous montons la trinquette, bordée à plat au centre pour canaliser les filets d’air entre les deux autres voiles en ciseau. Grand voile à bâbord, yankee à tribord. C’est ça la beauté d’un cotre. Le vent change. Nous empannons et changeons le tangon de bord. Nous lâchons le dernier ris. Nous affalons la trinquette. Nous empannons une nouvelle fois et changeons le tangon d’amure. Nous remontons la trinquette. Plus de vent. Pétole.
Loin devant, sud est, les îles Walloston. Le cap Horn est sur l’île Horn, l’île la plus au sud de l’archipel des Walloston. C’est là-bas que nous allons. Dormir, ce soir, dans les Walloston. Passer le cap Horn demain. Si tout va bien. Car ici, tout dépend de la météo. Elle change vite, très vite. Nous en avons fait l’expérience aujourd’hui et les prévisions sont dantesques. Comme le bateau est petit, à partir de 45 nœuds de vent, on peut avancer au portant mais plus difficilement en remontant face à la mer et surtout face au courant terrible du Horn. Pour le 25 et le 26, dans deux et trois jours, ils annoncent 65 nœuds. Ca devrait être du sud. Trop fort pour nous, comme pour tout le monde, mais dans la bonne direction. Si la dépression est en avance, nous ne pourrons peut-être pas passer du tout. Suspens.
Pour l’instant, nous mettons le moteur. Dans la calmasse de vent résiduel portant. Au milieu de la Bahia Nassau. Comme en Méditerranée. Sauf le soleil et les pins parasols. Mais la luminosité seule suffit à brûler la peau ici. Véronique fait un excellent chocolat au lait. C’est délicieux avec le cake maison. Ils arrivent à pic car la journée est longue, depuis ce matin six heures. C’est le creux de la journée. A un demi-mile, de grandes éclaboussures. On dirait des otaries qui jouent. Les plongeons sont de plus en plus nombreux. On dirait des thons qui sautent, mais il n’y a pas de thons par ici. Un aileron fonce à toute vitesse vers nous, disparaît. Réapparaît devant le bateau. Des dauphins. Pas un aileron, des nageoires ! Festival de surf sous l’étrave. Les dauphins, très nombreux, sont très joyeux, ont envie de jouer, de voir. Ils passent sous le bateau, en se tournant sur le côté, au raz de la surface, pour bien nous regarder. Certains, pour extérioriser leur amitié et leur confiance, montrent leur ventre. Un saut hors de l’eau, un autre, une pirouette ou un saut périlleux avant et des bonds. De grands bonds, bien en ligne, dans la même direction que le bateau. Des bonds superbes, encourageants. Et ensuite, des acrobaties, magnifiques, hors de l’eau, dressé sur la queue, dans le même sens que la marche du bateau, mais « en marche arrière », ventre tourné vers nous, tête baissée pour bien nous voir et nous laisser admirer le sourire du dauphin joyeux. Pour un peu il nous prendrait en photo. L’acrobate retombe sur le dos dans un énorme splach. Deux fois, trois, quatre, cinq fois… Et de nouveau, un relais sous l’étrave. Dauphins de taille moyenne, bien noir et blanc. L’œil, qui nous regarde fixement à chaque nouveau relayeur, qui fonce ensuite quelques mètres en avant pour respirer. Le spectacle dure. Yves et Véro sont enthousiastes de tout, comme au premier jour. Et ça ils n’ont encore jamais vu. Nous non plus. Et les dauphins disparaissent au fond de la mer.
Pendant ce temps, les miles défilent. Nous sommes à l’abri d’un petit cap. Le phare de l’île Walloston, auquel nous nous sommes identifiés, ne peut plus nous voir. Nous pouvons prendre un nouveau cap, vers les paso Bravo, (le passage Brave !), interdit à la navigation… Le passage est superbe, entre deux îles, dans le calme absolu. Pas une vague, à peine quelques risées. Il fait très doux. Les casquettes ont remplacé les bonnets et les bandeaux en laine polaire. Mais les arbres du paso poussent couchés, au raz du sol, ou debout, le long des parois rocheuses abritées. Il doit y avoir bon vent de temps en temps dans le coin…
Nous arrivons à notre mouillage. La caletta Martial. Superbe, désolée, laminaires à tribord en entrant, plage de sable ocre, dauphins qui glissent sur la mer plate entre les bateaux. Il y a foule. Quatre ou cinq bateaux. Un Suédois et sa famille très sympas. Une Hollandaise, Eve, qui skippe son bateau. Elle rentre à peine d’Antarctique. Runaway, encore plus petit que nous. Il y a même un bateau de pêche entouristé qui débarque des blaireaux sur la plage. Ils remplissent d’eau le zodiac en le mettant en travers des minuscules vagues. Nous fêtons l’anniversaire de Gilbert dignement, en buvant du meilleur champagne français, sur la plage, avec l’ami Suédois. Ce n’est pas tous les jours qu’on fête son anniversaire à moins de quinze miles du Horn, (ici, on dit le Horn, pas le cap Horn). A bord, repas de fête, avec gâteau maison, bougies et cadeaux. Merci Véro. A 22h30, il fait jour. Les dauphins sont toujours là, le ciel est rose, orange, gris et bleu, avec des nuages de toutes les formes au-dessus de la plage de sable. Pas une vague. Pas un bruit. Nous sommes loin. Et tout près du Horn.
Nous allons nous coucher. Demain, peut-être le Horn. Peut-être. Car ici… Demain, petite dépression, 25/30 nœuds de vent dit la météo. Un temps à rester au port. Ailleurs, pas ici. Ici, on profite d’aussi bonnes conditions pour y aller. Avant la grosse dépression de demain dans la nuit, celle qui nous promet beaucoup, beaucoup, de vent et de mer. Nous commençons à entendre le bruit du vent qui souffle au-dessus de notre abri pour la nuit.
Demain…

ELIOT
Cotre de douze mètres. Coque verte, voiles marron-rouge fabriquées à Hong Kong chez Lee Sails. C’est l’enfant de Yves et Véronique. Eliot, c’est un bateau de propriétaire, pas un professionnel du charter. Le vrai bateau du grand sud. A part la mer, tout ou presque, se passe à l’intérieur. Bondé de choses. Grigris africains, bouquins, statues-masques africaines, world tissus, poêle à gasoil inox et son tuyau de poêle inox idem avec sécurité pour ne pas se brûler, cuisine bourrée d’épice, photos, calebasses remplies de tout, paniers en osier, CD de musique. Chaque objet possède une âme, pèse son bon poids de souvenirs. On dirait le cabinet de travail d’André Breton, en moderne. Crayons de couleurs et feutres bien rangés dans deux pots, plaque Antarctica 2003 station Vernadsky, tableau tournesol peint par Yves, bouteilles dans les trous sur la table, appareil photo numérique, PC, bouteille de grenadine, montre pendule avec aiguille bleue pour les marées dans hublot de cuivre, baromètre et traceur barométrique, carte touristique de la Terre de feu et du cap Horn punaisée, photo maison prises en Antarctique avec pingouins et icebergs. Couchette planquée sous le cockpit à gauche en entrant pour Yves et Véro. Bois sombre à l’intérieur pour la table du carré et tous les habillages. Plafond en bois peint vert amende qui sera remplacé cet hiver avec le changement du pont en bois par un pont en inox, une idée au retour du Drake, pour plus de sécurité, mais l’habillage en bois vert reviendra.
Table à cartes. Electronique avec tout ce qu ‘il faut et rien de plus. Timonerie intérieure. 400 litres d’eau douce. Cartes marines. Plante verte dans une calebasse. Odeurs de cuisine, cuillère à alcool de palme et bâtons de pluie à drapeaux rasta pendus au plafond. Papier peint « animaux de Patagonie » avec une partie des noms coupée, face à la couchette du milieu du bateau, celle qui est placée au-dessus du frigidaire. Filets pour fermer les équipées. Bouddha en métal, peluches, mâchoire de requin, bouts de bois flotté, cuisine qui déborde. Cales pleines de vivres et de bons vins argentins. Tapis sur parquet Riva. VHF. Tuyau du poêle qui passe par la timonerie pour les longs quarts de mauvais temps, si le bateau gîte du bon côté, sinon le poêle s’éteint, porte du cockpit en inox, depuis le Drake aussi.
Réservoir journalier pour éviter les problèmes de mauvais gasoil. Thermos métal pour le café, boites en plastic pour le lait en poudre et le sucre, il y a du lait normal aussi. Table du carré qui se replie avec petits coins pour les repas nombreux. Salle de bain baignoire avec chiottes et vannes bateau, bonnet péruvien, livres sur la faune et la flore australes, spots, leds.
Dehors, ligne de vie, cordages longs près du mat et au fond du cockpit, tangon, pont blanc avec sable incorporé à la peinture comme antidérapant, caillebotis bois sous les fesses, barre à roue, foc (Yankee) à enrouleur, housses de voiles vertes avec écrit Eliot en lettres bâton blanches dessus, annexe gonflable verte sur la plage arrière, deux moteurs hors bord, 3 et 9,9 chevaux, bout dehors, deux étais, mat robuste et court.
Photo « à l’amitié ».

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