Jour
3. Samedi 24 janvier 2004. Le Horn.
Il fait beau. On dirait qu’il y un peu de vent nord
/ nord est. Parfait pour y aller. Nous allons vraiment le passer
! Il y a encore du suspens. Ici ça tourne en quelques minutes
sans prévenir. Départ sur les chapeaux de roues. En
deux, trois, minutes, grande voile montée, ancre relevée,
direction cap Horn, vent portant. Nous passons entre deux îles,
Deceit à bâbord, Herschel, notre mouillage de cette
nuit, à tribord. L’île Horn est devant nous, sud
ouest. Beau temps, mer belle, vent derrière nous qui nous
pousse droit sur les quatre maisons et le petit phare du bout de
l’île avec leur gros rocher devant. Un paysage connu
de tous les marins du monde. Mer bleue. Le cap est gros, on le voit
de loin, nous nous approchons doucement, à quatre nœuds, à la
voile. Petit à petit, l’île grandit, les maisons
se voient mieux, peintes en blanc et rouge comme le phare.
Le suspens dure encore un peu, car ici, rien n’est donné avant.
Comme le vent est faible, le suspens dure. Le vent peut se lever,
violent, contraire et nous repousser irrémédiablement
dans l’autre sens. Il faudrait retenter demain, mais la dépression
méga sera là. Le vent peut tomber pendant une renverse
et nous obliger à passer au moteur. Presque pire, pour le
mythe. Nous sommes maintenant au sud du phare. Mais le cap, ce n’est
pas le phare, c’est la falaise un peu plus loin. Nous admirons
avec respect les énormes vagues d’ouest qui déferlent
sur les secs du cap. Le vent est nord ouest, mais une énorme
houle arrive de l’est, donnant une bonne idée de ce à quoi
cela peut ressembler par mauvais temps. Grosse puissance. Des vagues
qui ont peut-être fait le tour de la terre, ou plutôt
de la mer. A partir d’ici et plus au sud, aucune terre pour
les arrêter. La première et la seule terre qui se met
en travers, c’est le Horn. Solide. Pour nous, c’est grand
beau, ciel bleu, petit vent favorable et spectacle des vagues qui
explosent en blanc sur les rochers. Nous passons très près.
Un peu trop de vagues pour monter sur le Cap. Surtout, je suis le
seul à en avoir vraiment envie. Yves ne pousse pas à l’arrêt,
vagues, annexe, on se mouille, départ de la plage difficile… Gilbert
ne semble pas intéressé. Pas grave. Je reviendrai et
pourrai monter, s’il fait assez beau. C’est ça
aussi, un mythe. Nous continuons à longer la côte sud.
Nous sommes presque sous le cap. Tout près, avec une belle
lumière, alors que la majorité des gens venus jusqu’ici,
l’ont vu de deux ou trois miles au large, dans le brouillard.
Nous sommes sous le cap, à cent mètres de la falaise,
gros rocher massif qui tombe à pic dans l’eau. Magnifique
coin. Le vent est complètement tombé. Le promontoire
coupe le vent. Tout le monde à la barre pour le passage du
Horn. Lunettes de soleil mais bonnet quand même. Photos. A
la barre d’Eliot, cotre de douze mètres, en train de
passer le cap Horn à la voile d’est en ouest. « A
l’époque », il y a de grands bateaux à voiles
qui ont tenté de le passer pendant un mois sans y parvenir
et qui ont fini par faire le tour du monde dans l’autre sens,
Atlantique puis océan Indien, pour réussir à aller
jusqu’à Valparaiso. Un tour du monde complet pour passer
le Horn sans le passer. Et ça y est. Onze heures du matin.
C’est officiel. Yves certifie que nous avons passé le
cap. Nous sommes tous cap-horniers. Tous très heureux. Les
bleus de l’avoir fait. Les pros d’avoir rempli leur contrat
et d’avoir vu le cap de plus près que jamais.
Malgré l’euphorie qui règne à bord, nous
sommes conscients de la majesté et la beauté du lieu,
gardé par quelques brisants qui ne disent rien de bon, même
par beau temps. De la précarité de la situation aussi,
la météo qui change à toute allure sans prévenir,
les 65 nœuds de vent prévus cette nuit ou demain. 65
nœuds, 120 km/h. Comme si vous sortiez la tête dehors
quand la voiture roule sur l’autoroute. La tradition du passage
du Horn, c’est de boire du champagne en versant la première
goutte dans la mer, pour Neptune, le cap et les marins qui sont morts
ici. Encore l’année dernière, deux Allemands,
qui ont coulé près d’ici en rentrant d’Antarctique.
Une vague encore plus forte que les autres à détruit
les portes du cockpit et l’eau a rempli le bateau. On n’a
retrouvé que leur balise argos. Nous trinquons. Aux dieux,
au cap, aux marins, à nous, les quelques cap-horniers de plus.
Puis, deuxième tradition, nous jetons des pièces dans
la mer. « A la famille, aux amis ! ». Normalement une
pièce par bateau suffit. Nous en jetons plus d’une par
personne. Le bateau est toujours déventé, sous le vent
du Horn. Ca nous donne le temps de boire, de prendre des photos,
des vidéos, de profiter du paysage. Yves et Véro ont
parfaitement calculé leur coup météo. Nous sommes
passés dans les meilleures conditions. Nous avons doublé le
phare, puis le cap, à la voile, dans le sens mythique, d’est
en ouest à contre vent et courant dominants, par mer belle
et soleil. Nous sentons tous le danger. Partout. Mais maintenant,
nous pourrons pisser face au vent et porter l’anneau d’or à l’oreille.
Pour sortir de la zone déventée et assurer la sécurité,
il nous faut un petit coup de moteur. Mais après moins de
cinq minutes, sans prévenir, nous voilà avec 20 à 25
nœuds de vent. Du nord ouest. En plein dans le nez. Pas bon
pour nous. Nous sommes passés juste à temps. Encore
un peu plus fort, avec le courant de deux ou trois nœuds qui
arrive tout de suite, c’était un coup à ne plus
nous laisser passer. Nous avons bien fait d’assurer le coup
et de ne pas monter sur le Horn tout à l’heure, surtout
pour une première fois. Voile et moteur, voile, voile, voile
et moteur, pour remonter rapidement s’abriter à l’île
Hermite, caletta Maxwell en naviguant entre les récifs, les
rochers et les falaises de l’île Horn. La mer est mauvaise,
très hachée, avec la grosse houle résiduelle
ou avant coureuse d’ouest, qui vient contrarier les vagues
soulevées par le nord est de ce matin et celles qui rebondissent
sur les falaises. Le coin où il ne faut vraiment pas s’attarder.
Le coin où un paquet de bateaux ont du couler. Les nuages
arrivent de l’ouest. Tout ça rappelle rapidement les
apprentis cap-horniers à la réalité du lieu.
Le vent forcit. 25, 30, 35 nœuds dans les rafales vent de travers
puis près serré. C’est le moment où nous
arrivons à Maxwell.
Une minuscule passe défendue par un rocher qu’il vaut
mieux bien arrondir, de méchants secs et derrière,
la tranquillité absolue. La crique est parfaitement calme.
Totalement protégée des vents d’ouest et de nord
ouest comme pour la dépression qui nous arrive dessus, mais
aussi d’est, sud et même de nord grâce à la
minuscule île Maxwel, qui a donné son nom au coin, qui
ferme le nord, aidée par un énorme banc de kelp (laminaires
de parfois plusieurs dizaines de mètre plantés au fond
et qui arrivent jusqu’à la surface) . Véro fonce
mettre des bouts à terre pendant qu’Yves maintient le
bateau bien sur son ancre. Eliot dérive un peu, mais le kelp
est un bon amortisseur. Le bateau se met au milieu des laminaires
et ne bouge plus. Véro met trois amarres à terre, attachées
aux arbres les plus solides. Avec l’ancre, ça nous fait
les quatre points cardinaux. Avec le calme qui règne ici par
vent d’ouest, pas vraiment de problème. Mais Yves et
Véro connaissent bien l’endroit et ils se méfient
de la dépression annoncée. Nous, nous leur faisons
confiance. Et maintenant que nous sommes passés, une petite
baston, avec le bateau bien à l’abri, ça ne serait
pas pour nous déplaire. Pour l’instant, en tous cas,
c’est le calme total ici. Il est trois heures de l’après-midi.
Il n’y a que des cap-horniers sur Eliot.
Pas une ride autour du bateau. Les laminaires flottent à la
surface avec des bouts de feuilles qui sortent de l’eau. Une
superbe lumière de fin de journée éclaire les
arbres et leur donne une allure de jardin japonais. Le bon moment
pour partir à la rame pour prendre des photos. La petite île
Maxwell qui ferme le nord est tentante. Le tour de l’île
prend cinq minutes. Elle est couverte de plantes et de fleurs. Quelques
arapèdes géantes du coin, mais pas un seul poisson,
coquillage ou crustacé. Ici, tout vit en pleine eau et plutôt
profond, par cent à cent cinquante mètres de fond.
A part quand un banc de krill fait remonter toute la chaîne
alimentaire à la surface. Les sardines qui mangent le krill,
les merluzas qui mangent les sardines. C’est une frénésie
telle que des sardines par seaux entiers sautent sur la plage, il
suffit de les ramasser et qu’on peut aussi pêcher des
merluzas « à la botte », en donnant des coups
de pieds dans le tas pour les jeter sur le bord. Sauvage le coin.
Une eau noire, lisse comme un miroir, les laminaires qui dépassent,
un rayon de soleil qui traverse les nuages, éclaire l’île
en face par le petit passage que nous avons emprunté pour
entrer nous aussi, les cormorans qui rentrent se coucher et croisent
les goélands qui partent dans l’autre sens. Un coin
bien tranquille. A dix miles nautiques du Horn. Nous passons la nuit
là, dans la chaleur du poêle d’Eliot, en mangeant
du filet de bœuf argentin que chacun fait cuire à son
goût sur la pierrade. Il paraît que ça va commencer à souffler
cette nuit vers trois heures. Pour l’instant, on entend le
bruit du vent qui passe au-dessus de l’île Hermite qui
nous protège.
Nous passons la nuit seuls. A quelques miles du cap Horn désormais
derrière nous.
ANIMAUX
VUS
|
PAS VUS |
Pingouins Magellan |
Baleines à bosse |
Albatros à gros sourcils |
Baleines franches |
Pétrels géants noirs |
Orques |
Pétrels des tempêtes |
Loutres de mer |
Puffins |
|
Cormorans Impériaux (blanc et noir) |
|
Cormorans blancs et noirs (plus petits que
les Impériaux) |
|
Otaries |
|
Phoques à fourrure |
|
Mouettes de Patagonie |
|
Méduses |
|
Dauphins |
|
Sternes Arctiques |
|
Mouettes |
|
Goélands |
|
Canards vapeur (ne volent pas) |
|
Oies blanches (mâles) et noires et blanches
(femelles) avec famille |
|
Canards en famille |
|
Huîtriers |
|
Pluviers |
|
Buses |
|
Castors (habitat seulement) |
|
Oiseaux divers |
|
Fleurs, arbres… |
|
LES
PHOTOS / ARGENTINE DIGEST /
PHRASES DU JOUR ARGENTINE