
Journal de bord
CAP HORN
56° sud
67° ouest
Sur
Eliot, cotre de douze mètres.
22 / 01 / 2004 – 29 / 01 / 2004.
Ushuaia – Cap Horn – Ushuaia.
Propriétaires : Yves et Véronique.
Equipage : Gilbert , Evelyne et Christophe.
Jour
1. Jeudi 22 janvier 2004. Ushuaia - Puerto Williams.
Départ à la bourre pour le bateau. Eliot.
Coque verte en métal. Pont repeint de neuf blanc. 12 mètres.
C’est le plus petit bateau du quai. Certainement un des plus
petits du coin. Il fait beau. Mais pas de quoi rassurer Choupie.
Elle repart rapide. Yves et Véronique, les propriétaires,
nous accueillent. Nous c’est Gilbert, mon père, Evelyne,
sa compagne et moi.
Il y a du vent. 20 ou 25 nœuds (1 nœud = 1.8 km/h). Il
va-y en avoir beaucoup plus bientôt. Il est prévu 65
nœuds de vent établi autour du cap Horn, avec des pointes à 80
nœuds (150 km/h) d’ici trois jours. L’idée
est de se dépêcher d’aller jusqu’aux îles
Walloston. De là, espérer que le vent ne sera pas trop
fort et plutôt dans le bon sens, pour passer. Ils ont attendu
que Choupie soit partie pour nous annoncer la nouvelle. Il faut dire
qu’elle n’était déjà pas très
rassurée hier soir au pot de briefing… Ici, c’est
le royaume du sérieux, pas le genre taux bleu, bimini et bikinis.
Coques acier, barres renforcées, roofs soudés, voiles épaisses
comme des annuaires des PTT, avant internet. Seuls les costauds sont
là. Les autres sont repartis, ont coulé (non, on ne
coule presque plus par ici) ou n’ont même jamais essayé de
venir.
Pas le temps de ranger son sac. Partis rapide Yves et Véronique
! Toutes voiles dehors dès que nous avons eu le tampon des « autorités ».
Petite navigation sympa jusqu’au phare des Eclaireurs, annexé par
une colonie d’otaries et de cormorans impériaux, agrémentée
par des empanadas (chaussons à tout ce qu’on veut) au
four maison top. On va bien manger cette semaine. Toujours ça
de pris si on ne peut pas passer le cap Horn. S’il est impossible
de le passer, Véronique nous dit qu’il y a la possibilité de
d’aller voir les glaciers à la place ! Chaud comme nouvelle.
Le vent est portant, le soleil en plein milieu du ciel, les nuages
autour, la mer grise tire presque sur le bleu.
Nous arrivons vite à Puerto Williams, au milieu de quelques
otaries qui montrent leur tête et de quelques pingouins Magellan
qui disparaissent au fond rapidement. Petit port. Minuscule petit
port. Trois places. Amarré à une épave de bateau
reposant sur le fond qui sert de quai, de club nautique et commodités
(douches, toilettes, eau courante). Une fois les trois places prises,
on attache le nouvel arrivant, presque toujours un copain ou un ami, à couple
de quelqu’un déjà « à quai ».
La visite des autorités est tardive pour cause de gros bateau
ailleurs. Ils sont quatre Chiliens. Ushuaia, c’est l’Argentine,
nous avons le tampon de sortie. Puerto Williams, mais surtout les îles
Walloston et le cap Horn, c’est le Chili. Il faut d’autres
tampons. Beaucoup de tampons. Les Chiliens sont venus à quatre.
Police, douane, affaires sanitaires, port. Tous très cordiaux.
Le gars des affaires sanitaires contrôle les oignons argentins,
mais pas les cales et les coffres pleins de vivres et de bouteilles
venant de chez les ennemis d’en face. La visite de Puerto Williams
est édifiante. Il n’y a rien. C’est ça
qui est intéressant au Chili et qui nous a plu dès
le début… Mais quand même poste, épicerie,
pénurie de pain, deux centres de téléphones,
souvenirs, change. Tout le confort moderne. Pour le plaisir intellectuel
abstrait et donner du corps à l’exception culturelle
française, nous poussons jusqu’au bout de la rue principale.
Celle qui est après la place centrale, l’école
et l’armada de Chile. Tous ceux qui sont venus à Puerto
Williams voient de quoi on parle. Les autres aussi. Une rue faite
de cases typiquement chiliennes, en bois recouvert de tôle
avec poêle à bois au centre. La rue, c’est rien.
Elle part de là et n’aboutit sur rien. Voilà.
C’est là le sud de la ville, la vraie ville, pas Ushuaia,
la plus au sud du monde. On ne s’y attarde pas.
Retour au bateau, par le bord de mer. J’ai réussi à faire
envoyer deux cartes d’ici par la patronne du magasin qui sert à tout,
avec change d’un dollar sur une base de 400 pesos (au lieu
de 650 ailleurs qu’au bout du monde). Les Chiliens sont des
gens sérieux et nous repassons par-là au retour. Ca
devrait partir. Pour ce qui est d’arriver on ne peut qu’espérer
que le timbre ou la carte postale ne plairont pas trop au postier
en France... Yves a récupéré la carte météo
par la BLU. Hallucinant et fantastique. Une carte météo
jamais vue. Une dépression bouche la moitié du sud
entre le cap Horn et l’Antarctique. Elle arrive de l’ouest,
droit sur le Drake, passage entre cap Horn et péninsule Antarctique.
Les courbes d’isobares sont tellement rapprochées qu’on
dirait un trou. Nous n’arrivons même pas à lire
la pression au milieu du dernier cercle tellement il est petit. Si
on était en Guadeloupe, on penserait à un cyclone.
Ca va chauffer… Ca va refroidir plutôt. Yves part faire
le tour des copains pour recouper les infos et compiler les pronostics
de tous les logiciels météo disponibles à Puerto
Williams. Tous confirment. Grosse baston. Dans trois jours. Vents
de 80 nœuds, voire plus. Il faut attendre de voir évoluer
la dépression pour en savoir plus. Si on veut passer, il faudra
le faire avant l’arrivée de la chérie. Après
trop dangereux et même impossible avec Eliot. Il y a toujours
la possibilité d’aller faire les glaciers à la
place, c’est la spécialité de Yves et Véro,
les glaciers. Mais nous sommes quand même venus pour le cap
Horn. Attendons demain et voyons évoluer la dépression.
Demain, départ matinal pour aller jusqu’aux îles
Walloston, dormir à 10 ou 15 miles du cap et le passer après
demain matin avant d’aller se mettre bien à l’abri
vite fait… C’est chaud ici, la météo. Les
vagues de 20 mètres ça ne fait pas du tout rigoler
les gars qui les ont vues, ni les copains des gars qui les ont vus.
Tous ceux qui vont régulièrement en Antarctique se
sont pris des bastons incroyables. La grande majorité des
bateaux se sont retournés au moins une fois. Eliot, qui n’y
est allé qu’une fois, n’a pas eu cette épreuve à affronter.
Mais au retour, Yves a décidé de réduire des
deux tiers la surface des hublots pour qu’ils soient plus résistants à la
force des vagues et il a remplacé sa porte en bois pas une
porte blindée en inox qui ferme comme un coffre fort. Ici,
on n’est pas au cinéma. Les copains qui sont restés
50 minutes à l’envers dans le Drake ont trouvé les
minutes bien longues, debout sur le plafond du bateau retourné,
avec de l’eau qui était montée jusqu’à la
taille.
Douche. La dernière avant quelques jours. Jusqu’à notre
retour à Puerto Williams. Plus gênant pour les femmes
que pour les hommes. Pot au club nautique, dans le bateau coulé,
le même qui propose les douches. Dîner riz chinois maison.
Discussion animée. Nous nous couchons tard pour des gens qui
doivent se lever tôt.
VERONIQUE
Véro
Marcheuse, alpiniste, cuisinière (très bonne).
Souriante, vive, inquiète, accueillante, aime réduire
la toile par sécurité.
Marin multi-cap-hornière.
Dix ans de tour du monde, pas encore arrivée à la
moitié.
Amoureuse de la nature et de la vie au grand air.
Yeux foncés, cheveux mi-long et foncés.
Adore tenir la barre.
Parle Français, Castillan, Anglais, Brésilien,
Turc.
Experte météo. |
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